La répression s’est abattue sur l’entreprise RiMaflow, lieu d’une lutte emblématique. Le président de la coopérative, Massimo Lettieri, a été arrêté et se trouve toujours en détention, alors que la coopérative combat pour survivre. Un appel à la solidarité a été lancé, auquel il nous faut répondre.

RiMaflow se trouve dans la ceinture industrielle en déclin autour de Milan, à Trezzano sul Naviglio. « Ri » (re-) parce que ce sont les travailleurs et les travailleuses de l’ancienne usine métallurgique, Maflow(1)Maflow, produisant des composants automobiles pour les grandes marques (BMW, Fiat, Peugeot, Renault, Scania, Volkswagen et Volvo), a été fondé en 1973 à Milan sous le nom Murray, puis renommé Manuli Automotive Components SpA, a été vendu à un fonds d’investissements en 2004 pour 140 millions d’euros. Les dettes de ce fonds d’investissement ont été transférés à Maflow, ce qui a conduit à son insolvabilité en 2007 et à sa mise en liquidation administrative. C’est ainsi que les actifs de Maflow ont été vendus pour 8,1 millions d’euros au groupe financier polonais Boryszew SA, qui s’est emparé de ses usines en Italie (Ascoli et Trezzano sul Naviglio), mais surtout en Pologne (3 usines), en France, en Espagne, au Brésil, au Mexique, en Chine et en Inde, ainsi que des brevets., qui l’ont fait redémarrer après son dernier propriétaire, Boryszew SA(2)L’entreprise polonaise Boryszew a été privatisée en 1992. Elle est depuis devenue un grand groupe financier, Boryszew SA, dont le financier Roman Karkosik, un des plus riches Polonais, possède 64,31 % d’actions depuis 1999. R. Karkosik a construit sa fortune en achetant pour rien les entreprises en faillite et en les revendant très cher (en entier ou par morceaux). À partir de 2005 il a aussi acheté des actions d’autres groupes pour les intégrer dans le holding Boryszew SA (l’entreprise financière polonaise de métaux non-ferreux Impexmetal en 2005, Maflow en 2010, les entreprises allemandes AKT, Theysohn et Wedo en 2011 et YMOS en 2012). En 2017 les bénéfices nets de Boryszew SA ont atteint 47,54 millions d’euros et au premier trimestre 2018 – 12 millions d’euros. 60 % du chiffre d’affaires est réalisé hors de la Pologne. Roman Karkosik vient d’être condamné en Pologne pour manipulation boursière (« optimisation fiscale » selon l’accusé), mais le tribunal… l’a exempté de peine (cf. Gazeta Wyborcza du 13 septembre 2018)..

Histoire

Maflow, une entreprise de composants automobiles employant 330 personnes, était entrée en crise du fait de la faillite frauduleuse du groupe industriel – et non faute de travail ou de commandes, notamment de la part du colosse BMW. Malgré une lutte syndicale combative qui a duré deux ans, la seule « solution » alternative à la fermeture a été celle de vendre l’usine, au rabais, à un nouvel entrepreneur, Boryszew SA, qui s’est engagé face au gouvernement à embaucher tout de suite 80 ouvrier·e·s en promettant une relance globale qui permettrait graduellement de réembaucher les 250 travailleur·e·s restants. Mais le jour après l’échéance des deux ans (temps minimum prévus par la loi Prodi-bis pour le respect des accords) il a commencé à délocaliser l’usine en Pologne.

Alors un petit groupe de travailleur.e.s, ne s’est pas résigné au chômage et a décidé de prendre en main ce qui restait de l’entreprise – les hangars – pour y démarrer, en autogestion, une nouvelle activité productive, en harmonie avec les besoins de la population et du territoire. Ce groupe a occupé l’usine et s’est constitué en coopérative.

Prenant exemple du réseau des entreprises récupérées argentines – avec lequel RiMaflow collabore depuis lors – les travailleur·e·s ont inventé, au fur et à mesure, les différentes activités de production et de services, principalement dans le domaine du recyclage et de l’écologie, qui pouvait générer un revenu et créer des nouveaux emplois, à l’intérieur des hangars abandonnés. Du marché aux puces à la réparation d’appareils électriques et électroniques, de la cantine populaire à la réparation de bicyclettes, de la fabrication de liqueur « Rimoncello » (avec les citrons du projet de solidarité italiens/immigrés, SOS Rosarno) à la promotion de culture à la portée de tou.te.s, sur le modèle de « l’usine ouverte ».

Cette politique d’ouverture au territoire – utilisation gratuite des locaux pour les associations, fêtes de quartier et activités syndicales, espace pour les groupes de théâtre et musicaux, soirées d’information et de débat, accueil de réfugiés, relation avec les agriculteurs du Parc agricole du Sud Milanais et les groupes de consommation critique, avec Caritas, etc. – a permis jusqu’ici de résister aux attaques des autorités locales et aux tentatives des propriétaires, la banque UniCredit, de reprendre les bâtiments.

Construire une alternative

Dès le début, cette extraordinaire expérience d’autogestion ouvrière s’est située dans un cadre de bataille anticapitaliste et écologique, à partir des besoins très concrets de défense de l’emploi et de création d’un revenu pour les travailleur·e·s licenciés, résumé dans les slogans affichés à l’entrée de l’usine : réutilisation, recyclage, réappropriation, revenus, révolte de la dette, révolution(3)RiMaflow – « ri » pour rinascita (renaissance), riuso (réutilisation), riciclo (recyclage), riappropriazione (réappropriation), reddito (revenu), rivolta (révolte), rivoluzione (révolution)., a délocalisé son activité en 2012…

Ce qui est mis en question c’est la propriété privée de l’usine, le type de production choisie par les patrons en fonction du profit et pas en fonction de la satisfaction de besoins sociaux, son caractère nocif pour le milieu. Il s’agit d’un défi ouvert, non pas seulement à l’ancien propriétaire, à la banque, mais au système dans son ensemble, en affirmant dans la pratique que les ouvrier·e·s, qui ont travaillé pendant 20 ans dans cette usine, savent faire mieux pour eux/elles-mêmes et pour la société. C’est en même temps un exemple pour les travailleur·e·s des dizaines d’entreprises qui ferment et pour leurs syndicats, qui abandonnent la lutte dès qu’aucun acheteur nouveau ne se présente, n’imaginant rien d’autre qu’une négociation sur le nombre de travailleurs à réembaucher.

L’idée de fond est d’élargir le concept de la lutte de classe et syndicale, non plus seulement défensive face aux patrons en crise, mais positive en construisant des bastions de résistance, qui sont en même temps des embryons d’économie et de société alternative, basés sur la solidarité et la créativité ouvrière, en relation avec la population environnante et les réseaux de proximité socio-politique.

Dans ce sens RiMaflow est au cœur du réseau Fuorimercato (hors du marché) associant des producteurs de denrées alimentaires et autres, qui s’opposent à la logique productiviste, à la grande distribution destructrice du milieu et qui exploite jusqu’à l’os les travailleur·e·s, immigrés et italiens. Ce lien avec les réalités d’agriculture soutenable et les groupes de consommation critique, qui défendent l’idée de la souveraineté alimentaire, a rapproché RiMaflow du Mouvement des sans terre (MST) brésilien – dont il partage le slogan « occuper, résister et produire » – et du Syndicat des ouvriers agricoles (SOC), qui fait partie du Syndicat andalou des travailleurs (SAT), ainsi que du réseau paysan international combatif Via Campesina, dont le MST et le SOC font partie.

La forme spécifique de lutte, occupation de l’usine et fonctionnement en autogestion, a immédiatement créé des liens fraternels avec les autres entreprises autogérées, en Europe comme en Amérique latine et dans le reste du monde, organisées dans le réseau international des entreprises récupérées (dont la prochaine rencontre européenne se déroulera justement à RiMaflow au printemps 2019).

Les activités de RiMaflow se sont étendues. Petit à petit des dizaines de petits artisan·e·s (souvent des ouvriers qui ont perdu leur emploi ou des petits indépendants touchés par la crise) se sont installés dans les espaces abandonnés tandis que dans le hangar C a démarré l’expérimentation du recyclage du papier peint, avec l’introduction d’un prototype de machine qui sépare le plastique du papier (que RiMaflow espère produire également).

Entre la coopérative, composée d’une vingtaine de personnes, et les artisan·e·s, organisés eux aussi en association, il y a désormais plus de cent personnes qui ont retrouvé un emploi et un revenu à l’intérieur de RiMaflow.

Adversaires

Ce qui est en cause c’est l’idée que les lieux et les biens abandonnés (de propriété publique ou privée) puissent être convertis en biens communs, utilisés par la population organisée en collectifs de travailleur·e·s et d’usager·e·s. Une idée évidemment contestée, pas seulement par la droite mais aussi par le centre-gauche et notamment par le Parti démocrate (PD, ex-PCI), qui gère la municipalité de Trezzano sul Naviglio et n’a pas cessé de faire obstacle aux activités économiques de RiMaflow, prétextant des défauts techniques et administratifs. C’est ainsi que, malgré la volonté de la coopérative de se mettre en règle en ce qui concerne les mesures de sécurité et autres, en faisant des efforts financiers importants, on a été contraint de déplacer hors de l’usine le marché aux puces et de limiter les activités culturelles de grand impact.

Par contre des négociations sont en cours – et trainent depuis des années sans arriver à une conclusion – avec le propriétaire, UniCredit, auquel RiMaflow a fait plusieurs propositions d’utilisation et de sauvegarde de l’immeuble.

Cependant, la survie de la coopérative et du réseau combatif qui la soutient relève toujours d’un exercice d’équilibrisme.

Ignoble attaque

Au milieu de l’été 2018, à la fin juillet, les gendarmes se sont présentés à l’usine avec un ordre de séquestre des ordinateurs et du compte en banque, de clôture immédiate du hangar C tandis que le président de la coopérative, notre camarade Massimo Lettieri était arrêté, chez ses parents en Calabre où il était en vacances, sous l’accusation absurde et ignominieuse de trafic illégal de déchets et d’association criminelle de type mafieuse. Depuis lors, notre camarade se trouve en prison et la coopérative lutte pour survivre.

L’enquête de justice concerne une dizaine d’entreprises suspectées effectivement de trafic illégal de déchets, auquel RiMaflow a été injustement associé. Le procès, qui n’a pas encore commencé, risque de durer plusieurs mois et pendant ce temps notre camarade Massimo reste en prison alors que le travail de la coopérative est en grande partie bloqué.

Cette situation est totalement injuste et insupportable. Une grande campagne de solidarité a été mise en place pour mobiliser toutes les personnes, les collectifs et les associations qui ont pu entrer en relation avec cette expérience inédite, au niveau local et international. Nous avons besoin de tout le soutien possible pour faire face aux frais importants de la défense légale et pour combler le trou créé dans le compte de la coopérative par le séquestre judiciaire.

Une grande assemblée a eu lieu le week-end du 15-16 septembre à l’intérieur de l’usine, où des dizaines de de mouvements – depuis les centres sociaux jusqu’à Caritas, aux groupes de consommation critique et aux syndicats – ont témoigné leur support politique et matériel à la cause de RiMaflow. Un appel international circule et a réuni déjà des dizaines de signatures de représentants de mouvements, d’intellectuels et d’artistes connus. Des dizaines d’initiatives de solidarité seront organisées dans les prochaines semaines du nord au sud de l’Italie.

C’est une bataille qui nous concerne tous.
RiMaflow vivra ! Libération immédiate de Massimo Lettieri !

Publié sur Europe Solidaire Sans Frontières.

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