Il aura fallu attendre plus de 2 semaines pour que les peines effectives soient prononcées, après la décision historique du 7 octobre du tribunal d’Athènes qualifiant Chryssi Avgi (Aube Dorée) d’organisation criminelle et condamnant plus d’une cinquantaine de dirigeants et militant-e-s du groupe nazi pour leurs agressions racistes, anti-ouvrières et anti-jeunes. Depuis cette date, marquée par une mobilisation exceptionnelle autour du tribunal, réprimée après le verdict par des policiers enragés de voir condamnés ceux pour qui ils votaient, la procédure a suivi son cours, mais elle a été fortement retardée pour deux raisons : d’une part la multiplication des plaidoyers des condamnés, qui, voyant arriver la prison, ont voulu jouer la corde sensible, entre le père éploré car sa petite fille serait triste, celui qui déclarait ne plus s’occuper de « tout ça », sans un mot de compassion pour les innombrables victimes de leurs agressions. Mais l’autre facteur du retard, ce sont les propositions de la procureure, Adamantia Ikonomou, qui en décembre dernier avait plaidé pour innocenter toute l’organisation, hormis (quand même !) Roupakias, le tueur du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas. A deux reprises depuis le 7 octobre, Ikonomou a récidivé, comme on va le voir, s’attirant de la part des avocats des victimes le titre de « procureure avocate des victimes ».

Les peines prononcées et leur application.

Les peines prononcées le 14 octobre correspondent presque au maximum qui puisse être appliqué : de 10 à plus de 13 ans pour les 7 du groupe dirigeant ; de 5 à 7 ans pour les ex-députées participant à une organisation criminelle ; pour le meurtre de Pavlos Fyssas, perpétuité et 14 ans pour le tueur Roupakias, de 2 à plus de 10 ans pour les complices ; de 7 à 10 ans pour les agresseurs des pêcheurs égyptiens, de 3 à 6 ans pour les agresseurs des syndicalistes de PAME ; de 1 à 7 ans pour d’autres condamnés pour participation à une organisation criminelle.

Ces peines ont été accueillies avec un double sentiment : d’un côté, la confirmation que le tribunal rendait vraiment justice, avec une présidente, Maria Lepeniotis qui confirmait la fermeté dont elle a fait preuve pendant toute ces années. Mais en même temps, un sentiment amer quand on voit qu’un bris de vitre de péage peut déboucher pour un activiste anar à 3 ans de prison, ou quand on voit que des jeunes condamnés sans aucune preuve comme activistes ont passé une année en prison avant d’être innocentés… Sans oublier la travailleuse qui avait présenté un faux diplôme pour arriver à trouver un emploi comme femme de ménage et avait été condamnée à 15 ans de prison (peine cassée depuis) !

Suite à ces peines, la procureure a procédé à sa première récidive, en tentant d’avancer des circonstances atténuantes pour alléger les peines, quasiment comme l’ont aussi fait les avocats des nazis ! Echec sur toute la ligne : le tribunal n’a reconnu aucune circonstance atténuante. Il ne restait plus alors qu’à décider de l’application des peines, sachant que tout ce beau monde compte bien aller en appel : comme le proclame le cogneur en chef Kassidiaris, connu pour avoir tenté de frapper une députée du KKE (PC grec) lors d’un débat télévisé, devant un « vrai » tribunal, pas comme celui-ci qui est corrompu et a rendu un verdict sous pression des communistes et anarchistes dans la rue (argument repris par quelques journalistes « vedettes »…), sa totale innocence sera prouvée !

Toujours est-il que lors de cette dernière phase, la procureure a fini de tomber le masque : elle a tout bonnement demandé qu’en dehors du tueur Roupakias, tous les autres restent en liberté, car il était prouvé qu’ils ne pourraient ni nuire ni s’échapper ! La présidente lui a alors sèchement demandé de revoir sa copie, mais hier encore, Ikonomou a resservi la même soupe, provoquant une très forte indignation populaire.

Enfin, les peines effectives ont été annoncées à la mi-journée : sur les 68 accusés de départ et 50 condamnés, 12 pourront rester en liberté sous contrôle jusqu’au procès en appel. Mais la grande victoire de cette longue bataille alliant pendant 5 ans une très grosse mobilisation antifasciste derrière la figure rassembleuse de Magda Fyssas et bataille judiciaire avec d’un côté un travail de fond des avocats et de l’autre une présidente tenant fermement à rendre justice, c’est le soulagement de voir enfin menés en prison 38 membres de l’organisation criminelle Chryssi Avgi, dont tout le groupe dirigeant. Cette victoire contre la peste brune doit en appeler d’autres, de même type, dans d’autres pays !…

Conclusion provisoire

Ces derniers jours ont été intéressants sur plusieurs points :

– d’abord par le spectacle de ces cogneurs d’une violence revendiquée (leur cri de guerre était « sang, honneur, aube dorée » sur le modèle des nazis) venir jouer les moutons et se renvoyer les responsabilités. A ce jeu, le führer Michaloliakos s’est tiré une balle dans le pied en produisant des unes du journal de la clique avec photos de croix gammées et reconnaissant que oui, avant, CA était un groupe nazi (ce qu’il avait toujours nié contre toute évidence !)… mais plus maintenant ! Ce qui ressort des différentes déclarations ces derniers jours, c’est que CA est dissous par ses dirigeants, de même semble-t-il que les petites boutiques concurrentielles ouvertes récemment par Kassidiaris ou Lagos.

– ensuite par la confirmation par Kassidiaris, en voulant sauver sa peau, des liens directs avec l’entourage d’Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie), alors 1er ministre, confirmant ce que la gauche affirmait sur le rôle nauséabond du conseiller Baltakos et les liens entre la droite et les nazis longtemps impunis.

– le cas d’un des dirigeants, le chef des bandes armées dans la région du Pirée, Yannis Lagos, est à surveiller : désigné par Michaloliakos comme candidat, en vue de le mettre à l’abri, il a été élu député européen et a quitté le navire juste après, espérant échapper aux poursuites et à la prison. Il est le plus lourd condamné : 13 ans et 8 mois. Après être venu provoquer le tribunal en niant sa légalité, défendu désormais par le sinistre véritable chef de cette pègre nazie, le vieil avocat Plevris (son fils est passé des rangs fascistes à ceux de la droite gouvernementale), il tente désormais de jouer de l’asile parlementaire. Fait bizarre, un ordre du ministère de la police (« Protection du du Citoyen » !) visant à empêcher son départ de Grèce, en date du 14 octobre, a été donné… un jour après son départ pour Bruxelles, d’où il espère jouir d’une immunité. Une campagne antifasciste européenne pourrait aider à accélérer l’envoi en prison de ce très dangereux nazi.

Bien sûr, au-delà de cette victoire qui doit vraiment partout encourager le mouvement antifasciste, par exemple en France autour des liens glauques entre criminels intégristes islamiques, antisémites et extrême-droite, il est évident que les mobilisations antiracistes et antifascistes doivent redoubler de vigueur. D’une part en exigeant des enquêtes publiques sur le financement de Chryssi Avgi ou les soutiens de diverses personnalités dont il a bénéficié, d’autre part en organisant des ripostes à chaque agression, comme celle qu’a subie ces jours-ci un travailleur agricole immigré venu réclamer les 8 mois de rémunération que lui devait son patron, ou celle perpétrée par un fasciste se réclamant de la Nouvelle Démocratie contre une habitante de Mytilène lui demandant pourquoi il effaçait le slogan « écrasons les nazis » sur une palissade… Sans oublier évidemment la bataille permanente pour les droits des réfugié-e-s à un accueil digne… Ce procès et la mobilisation qui l’ont accompagné, le verdict intervenu, sont un fort encouragement à intensifier la bataille contre la peste brune sous toutes ses formes.

Athènes, le 22 octobre 2020

Article publié sur le site du NPA.

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