Il y a une semaine à peine sortait dans la presse des extraits d’un rapport confidentiel de l’OCAM (l’Organe pour la Coordination et l’Analyse de la Menace) mettant en avant un prétendu “danger extrémiste” au sein du mouvement climat et faisant mention entre autres de la Gauche anticapitaliste1. La N-VA n’a pas tardé à utiliser ce rapport pour servir son agenda politique de criminalisation des mouvements sociaux en demandant qu’il soit discuté à la Chambre de l' »extrémisme de gauche », ce qui fut le cas cette semaine. Dans cette discussion, ce sont cette fois le Collectif belge pour l’inclusion et contre l’islamophobie (CIIB), le mouvement de désobéissance civile Code Rouge ou encore le réseau pro-Palestine Samidoun qui furent visés2.
Le ministre de l’Intérieur Bernard Quintin (MR) saisit l’occasion pour aller encore un pas plus loin et annonce un projet de loi introduisant la possibilité d’interdire administrativement ou de dissoudre des “organisations radicales”3. Le MR annonce aussi vouloir renforcer le contrôle des mouvements de contestation, en enregistrant dans la banque de données commune « Terrorisme, Extrémisme, Processus de Radicalisation » les organisations qu’il juge dangereuses.
Le timing n’est pas anodin. En début d’été, alors que la vie politique et militante tourne au ralenti, l’annonce du projet passe presque inaperçue. Et pourtant, il s’agirait d’un nouveau précédent extrêmement dangereux, non seulement pour les organisations explicitement mentionnées, mais aussi pour les mouvements sociaux et syndicaux et les organisations de gauche dans leur ensemble. Sont ouvertement dans le viseur ici: non des organisations d’extrême-droite, mais bel et bien des mouvements qui luttent contre le racisme, contre une guerre génocidaire ou encore contre l’écocide dont nos gouvernements sont complices. Les priorités du gouvernement sont claires : c’est de mettre le monde à l’envers, où celles et ceux qui s’opposent politiquement à la violence et à l’oppression deviennent les criminel.les. Pour accompagner son programme de destruction sociale et écologique et de chasse aux personnes exilé.e.s, l’Arizona prévoit d’accélérer le glissement répressif et vise à criminaliser la gauche de contestation du système en l’assimilant à du « terrorisme ». Alors que le ministre Quintin parle de « critères objectifs », sans aucune spécification, dans la pratique les incriminations vagues de “radicalisme” ou “extrémisme” peuvent servir à réprimer arbitrairement toutes celles et ceux qui contestent l’ordre établi.
La N-VA tout comme le MR, qui accentue son extrême-droitisation, s’inscrivent ainsi dans la tendance générale du capitalisme vers des États forts, en Europe et dans le monde, pour mater tout potentiel de révolte face à sa prédation. Il ne faut pas aller bien loin pour trouver des exemples : en Grande-Bretagne, le gouvernement travailliste de Keir Starmer met en place l’interdiction de Palestine Action et de très lourdes peines sont prononcées contre les activistes de Just Stop Oil. En France, l’ex-ministre de l’Intérieur Darmanin a tenté de dissoudre les Soulèvements de la Terre, mais a dû reculer devant la mobilisation sociale. Son successeur Retailleau, proche de l’extrême droite, a obtenu la décision de dissoudre le collectif antifasciste La Jeune Garde, qui a lancé un recours et cible l’organisation de soutien au peuple palestinien Urgence Palestine qui a lancé une campagne internationale de solidarité. Dans l’Etat espagnol, ce sont six militant.e.s antifascistes de Saragosse qui sont derrière les barreaux (dont un camarade d’Anticapitalistas) pour s’être mobilisés contre l’extrême droite de Vox. En Hongrie, en Serbie ou en Italie, la situation est également dangereuse pour les libertés démocratiques.
Rappelons que c’est sous les régimes les plus autoritaires comme en Russie ou en Chine, que des opposant.e.s qui ne font que défendre des idées en exerçant leurs droits démocratiques sont fréquemment condamné.e.s à de lourdes peines de prison sous le seul prétexte d’“extrémisme” ou de « radicalisme ». Depuis les années 2000, en Europe de l’ouest, c’est sous le slogan de la “lutte antiterroriste” et celui du “droit de travailler” que les principales attaques avaient été menées jusqu’ici pour étendre la surveillance et limiter l’étendue du droit de grève pour le vider de sa substance. Il ne s’agit pas ici d’un débat sur tel ou tel désaccord entre organisations mais de comprendre ce qui se joue et les tâches qui en découlent : travailleur.se.s, jeunes racisé.e.s des quartiers populaires, activistes climatiques, antifascistes ou solidaires de la Palestine sont partout les cibles, car c’est de leur force et du risque d’un mouvement uni de celles-ci que veulent se protéger les Etats capitalistes.
La victoire contre la dissolution des Soulèvements de la Terre en France et celle contre la création d’une peine d’interdiction de manifester envisagée sous la Vivaldi (et de retour avec l’Arizona) montrent que cette marche à l’Etat fort n’est pas irréversible. Les rêves autoritaires de Quintin et De Wever ne vont pas nécessairement se réaliser car ils ne sont pas aussi forts que ce que l’ampleur de leurs attaques pourrait laisser croire. Si nous n’attendons rien des laquais de la droite que sont Vooruit et les Engagés, ils constituent des maillons faibles de l’Arizona dans leur collaboration à ces reculs sociaux et démocratiques historiques et méritent à cet égard de subir une pression maximale.
La Gauche anticapitaliste appelle donc les forces du mouvement social et syndical, de défense des droits fondamentaux ainsi que les forces politiques qui se réclament de la gauche à prendre position sans attendre la rentrée et à se rassembler et à construire au plus vite une riposte unitaire et solidaire pour le retrait du projet Quintin.
Seule une mobilisation large de l’ensemble des mouvements sociaux, associations et organisations de gauche pourra imposer le retrait de ce projet liberticide et arrêter le glissement vers un État fort où toute voix dissidente risque d’être réprimée et incriminée.
S’ils touchent à l’un.e d’entre nous, ils s’attaquent à nous toustes !
Photo : Bernard Quintin (MR), ministre de l’Intérieur.