Alors qu’Yvan Verougstraete se rêve en sauveur de la Région bruxelloise, à la tête d’une très hypothétique coalition dont la nature austéritaire du projet ne fait aucun doute, nous republions ci-dessous une carte blanche, diffusée hier dans le Soir et signée par une cinquantaine de personnalités issues entre autres des syndicats, du secteur associatif et du monde académique, et notamment par des camarades de la Gauche anticapitaliste. Devant l’impasse des négociations, et les dangers qui pèsent sur Bruxelles dans un contexte d’affaires courantes, cette carte blanche appelle à une mobilisation populaire contre l’austérité et les projets autoritaires des droites, pour une alternative sociale, écologique et démocratique dans la capitale.

Après 16 mois d’une crise d’ampleur qui impacte en particulier les classes populaires, les signataires appellent à une mobilisation générale « contre la tentative des droites d’imposer un agenda néolibéral à la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) en se réfugiant derrière l’inéluctabilité de la dette. Les alternatives existent, et ne pourront se mettre en place que par la lutte de tous et toutes », soulignent-ils.

La crise qui paralyse la région bruxelloise depuis plus de 16 mois est une crise politique. Le scrutin du 9 juin 2024 a donné une courte majorité à la gauche institutionnelle à Bruxelles, mais la droite tente par tous les moyens de forcer les négociations pour imposer un programme austéritaire à la capitale. En particulier, le bloc MR/Open VLD cherche à forcer la main au PS pour l’intégrer à un gouvernement qui se voudrait le prolongement de l’Arizona dans la Région, ce dont témoigne leur obstination à intégrer une N-VA quasi inexistante à Bruxelles (2 % dans la région, zéro député communal) dans le gouvernement. Pour justifier son jusqu’au-boutisme, la droite invoque systématiquement l’argument de la dette : vu l’état des finances bruxelloises, il n’y aurait pas d’alternative pour la région.

Un budget pour les gouverner tou·te·s

Le budget bruxellois est un casse-tête. En 2018, la dette de la RBC représentait 3,4 milliards d’euros. Depuis, deux chocs exogènes, la pandémie de covid et la crise énergétique due à la guerre en Ukraine, ont fait exploser les dépenses de la Région tout en impactant considérablement ses recettes. (1)

En 2024, les recettes totales représentaient 5,691 milliards tandis que les dépenses primaires représentaient 6,990 milliards d’euros, soit un déficit de 1,3 milliard d’euros. En parallèle, la dette consolidée (2) de la région pour l’année 2024 était estimée à 14,5 milliards d’euros, avec une projection pour 2029 estimée à 22,162 milliards d’euros. On parle donc d’un ratio dette / recettes totales de 241 % pour l’année 2024 avec une perspective clairement négative au vu du taux de croissance de la dette consolidée (8,83 %).

Cette question du déficit budgétaire et du risque d’emballement sur la dette se trouve aujourd’hui au centre des négociations gouvernementales. Incapables de s’entendre sur la mise en place d’une coalition un tant soit peu représentative des résultats des élections de 2024, plusieurs représentant·es des partis engagés dans les discussions (Bouchez, De Gucht) voient le budget comme une priorité pour débloquer la situation politique. Sauf que là aussi, les stratégies pertinentes font défaut.

Financer un programme de rupture anti-néolibérale

Malgré les discours catastrophistes de la droite, sur base du premier trimestre 2025 (3), la RBC parvient toujours à se financer sur les marchés financiers avec des financements très diversifiés, avec régularité (4) et ce, malgré une diminution de sa note, passée de A+ à AA- selon l’agence de notation S&P (5). En outre, les mesures mises en avant pour équilibrer le budget concernent exclusivement les dépenses. C’est à nouveau un grand mythe néolibéral. Réaliser des coupes budgétaires ne permet pas de retrouver de la stabilité. En diminuant son engagement financier, et donc en imposant des cures d’austérité, le gouvernement de la RBC fait reposer une plus grande charge financière sur les individus les plus vulnérables. En opposition à ce dogme, une alternative est possible : il faut augmenter les recettes, avec des mesures ciblées vers les plus hauts revenus, les entreprises et les multipropriétaires.

Une multitude de mesures pourraient être prises dans ce sens : par exemple la mise en place d’une hausse progressive des centimes additionnels de l’impôt sur les personnes physiques (6) avec l’objectif de récupérer une somme importante sur les revenus les plus élevés. Une autre pourrait être de reprendre le contrôle sur le marché du logement en récupérant les propriétés laissées à l’abandon par des multipropriétaires obnubilés par la spéculation, ou encore en augmentant le précompte mobilier pour ces mêmes multipropriétaires qui profitent de la pénurie de logement pour s’enrichir. Pourquoi pas également regarder du côté des droits de succession. La logique qui sous-tend ces mesures est la même : reprendre ce qu’ils nous ont volé, après un demi-siècle de néolibéralisme, qui a vu les classes dominantes s’enrichir en pillant toujours plus la classe travailleuse et les plus vulnérables.

En complément de ces propositions, il reste nécessaire de mettre en place un comité d’audit citoyen. Car pour agir, il nous faut comprendre les origines et les destinations des financements de la RBC, identifier les dépenses légitimes pour la population, et s’opposer catégoriquement aux lois des marchés financiers qui imposent une marche à suivre sur fond de chantage aux taux d’intérêt. Autant de sujets que nous devons imposer à l’agenda.

Pour sortir de la crise, mobilisation générale !

De telles propositions provoqueraient inéluctablement les cris d’orfraie de la droite, et l’ire des lobbies financiers et bancaires. En parallèle, la gauche institutionnelle a déjà témoigné de son impuissance à sortir la Région bruxelloise de cette crise d’ampleur. Les négociations pour une majorité progressiste, entamées au printemps 2025 sous la pression du mouvement social (7), ont été rapidement enterrées par Vooruit, sans provoquer d’émoi chez les partenaires autour de la table. Dans ces conditions, il apparaît clair que la clef pour sortir de l’impasse réside dans la mobilisation des Bruxellois·es elles et eux-mêmes. Face au projet autoritaire des droites, c’est la dynamique des syndicats, des mouvements féministe, écologiste, antiraciste, des collectifs de quartiers, du secteur associatif miné par cinquante ans de néolibéralisme, qui fera la différence. Seule une telle mobilisation coordonnée pourrait identifier les mesures d’urgence pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux de la population bruxelloise, et construire le rapport de force face aux lobbies bancaires et immobiliers d’un côté, et à l’Arizona de l’autre. Pour vaincre les droites, la lutte défensive ne sera pas suffisante : nous avons besoin que les mouvements sociaux prennent en main les questions politiques, et construisent une véritable alternative sociale, écologique et démocratique.

Liste des signataires

José Angeli, Président du MOC Bruxelles  

Joëlle Baumerder, citoyenne, UPJB

Bernard Boccara, photographe      

Matthieu Bordenave, PhD candidat en économie politique à l’université de Pise

Eléonore Merza Bronstein, Secrétaire fédérale du MOC Bruxelles        

Simon de Brouwer, SeTIS Bruxelles

Manuela Bruyndonckx, pensionnée de l’ULB

Michel Caraël, professeur émérite de l’ULB         

Valter Cortese, retraité de l’ULB

Céline Curvers, artiste        

Aziz Dahmane, Président CRB CSC (comité régional de Bruxelles)

Benoît Dassy, secrétaire régional bruxellois de la CSC bruxelloise

Lieven De Cauter, philosophe, prof. em. KU Leuven, faculté d’architecture      

Sarah De Laet, géographe, militante pour le droit au logement    

Jo De Leeuw, syndikale militante ACOD onderwijs ABVV, ACOD Onderwijs

Rémi Dekoninck, citoyen    

Muriel Di Martinelli Secrétaire Fédérale de la CGSP-ACOD ALR-LRB BRU

Olivier Dubin, Equipes populaires Bruxelles         

Pierre Galand, président du Forum Nord Sud

Jean-François Gava, chercheur en philosophie économique

Michel Genet, économiste   

Marie Gotalle, personnel soignant

Jean-Claude Grégoire, prof. honoraire de l’ULB

Aline Jacques & Eduardo Carnevale, coordination générale du Collectif Alpha

Francoise Kemajou, administratrice déléguée de Pour la solidarité

Catherine Kestelyn, BelRefugees

Guillaume Kidula, administrateur  de l’asbl Communa

Adrien Lenoble, Mission Locale pour l’emploi De Saint-Gilles

Cédric Leterme (chargé d’étude au GRESEA asbl)

Selma Lisein, Atelier des Droits Sociaux   

Gabriel Maissin, économiste          

Carla Nagels, professeure à l’Université libre de Bruxelles CGSP enseignement-recherche

Julien Pieret, professeur à l’Université libre de Bruxelles 

Emmanuelle Rabouin, coordinatrice de l’Union des locataires marollienne asbl

Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat/Brussel Bond voor het Recht op Wonen /

Anne Rayet, avocate

July Robert, autrice et traductrice  

Michel Roland, médecin     

RL, membre de l’Union des Locataires de Saint-Gilles

Nordine Saidi, membre de Bruxelles Panthères

Daniel Soil,    romancier, écrivain public    

Andreas Stathopoulos, Forest à gauche     

Marcelle Stroobants, professeure retraitée de l’ULB

Eric Toussaint, porte-parole international du CADTM

Mélodie Vandelook, travailleuse de l’éducation permanente

Martin Vander Elst, docteur en anthropologie, UCLouvain en colère

Philipe Vansnick, secrétaire fédéral CSC Bruxelles

Denis Verstraeten, militant à la Gauche anticapitaliste    

Pascale Vielle, professeure  

Carmelo Virone, écrivain, militant au collectif DK Saint-Gilles


Photo : manifestation syndicale contre l’Arizona du 13 janvier 2025. Crédit : Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0