Film belgo-britannico-français, 1h40, sortie le 30 octobre. 

Avec cette nouvelle histoire familiale Ken Loach et son scénariste Paul Laverty décortiquent chaque étape du désastre social et intime de l’ubérisation qui provoque, par l’implosion de chaque individu, l’explosion du collectif. Chaque scène tournée au millimètre combine sobrement la chaleur du regard sur les membres de la famille et l’implacable mécanique froide du système qui les broie. 

Une vie de précarité

L’histoire nous parle d’autant plus qu’elle est le quotidien de nombreuses familles de part et d’autre de la Manche. Une famille de la classe ouvrière qui a pris de plein fouet toutes les évolutions du monde du travail : Ricky a oublié depuis longtemps ce que c’était que de travailler en CDI, il enchaine les boulots mal payés, il n’hésite pas à « traverser la rue », mais ce n’est que pour recommencer sans en voir la fin. Abby travaille dans le « service à la personne », et court toute la journée parce qu’elle travaille avec un contrat zéro heure, donc payée à la « tâche ». Et pourtant, elle résiste et trouve l’énergie d’amener à chacune des personnes aidées un peu d’humanité. Leur fils de 15 ans est en pleine crise de révolte contre la situation que la société fait à ses parents. Avec sa bande ils et elles fuient l’école et l’avenir bouché pour tagger, dans des endroits improbables, des fresques qui disent leurs colères et leurs rêves de jeunes ados en recherche d’eux et elles-mêmes et des autres. Quant à sa sœur de 11 ans, elle apprend déjà à assumer la charge mentale qui pèse sur les filles, à l’affût de tout ce qui menace sa famille. La seule chose que possède la famille, c’est la voiture d’Abby, qui lui permet de visiter un maximum de personnes et de ne pas rentrer trop tard pour entrevoir ses enfants avant le coucher.

Spirale infernale du travail ubérisé

Alors quand Ricky, au bout du rouleau, rencontre le patron d’une plateforme de livraison de colis qui lui propose de travailler pour lui sans être salarié, « librement » en fonction de « ses besoins », il a une envie irrépressible d’y croire. Il surmonte les résistances d’Abby qui vend sa voiture pour financer la garantie du crédit d’achat d’une camionnette, dégradant immédiatement les conditions déjà tellement précaires du travail d’Abby et de la vie de la famille. Ce n’est que le début de la spirale infernale du travail ubérisé. Et ce n’est pas que le travail qui est ubérisé, c’est toute la société qui combine délitement des relations de travail et des services publics, renforcement du pouvoir des possédants (a fortiori lorsque ce sont des nouveaux possédants), mise sous surveillance par un système scolaire inquisitorial, rabaissant chaque individu à sa responsabilité individuelle dans la précarité absolue et son incapacité à la surmonter. Comme souvent avec Ken Loach, on ne peut que s’identifier à cette famille, au fur et à mesure du film on a le cœur serré et la rage qui monte. Un vrai carburant pour la révolte anticapitaliste.

Publié sur le site du NPA.

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