Déclaration de la Gauche anticapitaliste

Après plus de 600 jours sans gouvernement fédéral de plein exercice, le régime politique belge est à bout de souffle, sous les coups de boutoir de la stagnation économique et de l’austérité, couplés à des réformes de l’Etat incapables de répondre aux besoins et aspirations de la population et à l’épuisement des partis traditionnels tous convertis au néolibéralisme. La polarisation gauche-droite s’est exprimée de façon très inégale entre la Flandre d’une part et la Wallonie et Bruxelles d’autre part. La monarchie a mis tout son poids dans la balance et les chrétiens-démocrates flamands ont fini par accepter de gouverner sans leur nouveau grand frère de la N-VA. Dans la tempête sanitaire et sociale amenée avec le coronavirus, dont on ne voit que les débuts, ils ont fini par atterrir : le gouvernement De Croo est né.

La Vivaldi, gouvernement de centre-droit

Alexander De Croo, premier ministre libéral, a multiplié les lourdes allusions dans sa présentation au Parlement sur ce qui définit probablement le mieux la ligne politique de son gouvernement :  « diversity is sterker » (la diversité nous rend plus fort.e.s), « le 21ème siècle sera le siècle de la femme »(sic), etc. Dans la déclaration gouvernementale, le même refrain nous est chanté : « concertation », « dialogue social », « tables rondes », etc. Il y a quelque chose de différent dans le récit de la Vivaldi, par rapport à la tonalité récurrente du gouvernement Michel-Jambon, l’arrogance dure, raciste (les fameux tweets de Francken et les outrances de Jambon) et sexiste (on se souvient des récentes déclarations de De Wever). Personne ne les regrettera. Les élections ont infligé une gifle à cette ancienne majorité, et la crise Covid-19 est ensuite passée par là : le temps est à la « confiance » et au « respect », dans les mots du moins.

Mais pour le reste, c’est surtout la continuité avec le gouvernement Michel et ensuite celui de Wilmès, qui caractérise le nouvel exécutif fédéral. La quasi-totalité les réformes antisociales précédentes sont maintenues : loi Peeters de précarisation du travail, recul du départ à la pension à 67 ans (malgré les grandes promesses du PS de revenir à 65), blocage des salaires (réforme de la loi de 1996), les cadeaux aux patrons lors du tax-shift, le service minimum à la SNCB, l’encouragement à la privatisation des pensions (2ème pilier) et à leur précarisation (pension à mi-temps), la pression sur les malades et les personnes handicapé.e.s pour forcer le retour au travail ou les sanctionner.

Dans certains cas, le gouvernement De Croo prévoit d’aller encore plus loin, avec de nouvelles réformes de flexibilisation supplémentaire du marché du travail, la dérégulation du travail de nuit, des menaces sur les augmentations barémiques des salaires conformément au programme patronal, et de nouvelles coupes de 600 millions dans les services publics. Sans oublier des projets inquiétants, derrière la novlangue, de « modernisation » de la Sécu, de nouvelle réforme des pensions et d’harmonisation des statuts entre travailleur.se.s salarié.e.s, fonctionnaires et indépendant.e.s.

Dans leur communication, sociaux-libéraux et Verts se permettent même de nous présenter des reculs comme des victoires : la sortie du nucléaire (loi votée en 2003 dont l’application n’est pas garantie), la fin de l’enfermement des enfants sans-papiers, pourtant combinée avec la politique scélérate d’augmentation des places en centre fermé et d’expulsions portée par Sammy Mahdi (CD&V)… La porte reste même ouverte en ce qui concerne les visites domiciliaires et aucune régularisation pour les 150.000 sans-papiers malgré leur résistance héroïque des dernières années.

Enfin, la coalition Vivaldi va investir dans les dépenses militaires ainsi que dans la police qui sera protégée des violences par la « tolérance zéro » et l’accélération des procédures judiciaires sur les auteurs présumés.

Pour ce qui est de la bombe à retardement de l’institutionnel, le chantier va s’ouvrir avec un simulacre de participation populaire, bien loin d’une assemblée constituante pourtant nécessaire pour sortir du blocage dans l’Etat Belgique.

Quelques avancées arrachées par nos luttes

Le nouveau gouvernement fédéral va avant tout essayer de vendre sa politique néolibérale à coup de grandes avancées symboliques : en premier lieu par sa composition (parité de genre, des ministres racisé.e.s et la présence de Petra De Sutter, femme transgenre), ensuite par ses paroles plus « empathiques ». Paul Magnette nous a refait le coup de Spitaels en 1988 avec le slogan du « retour du coeur »… dont on se souvient qu’il s’était déjà accompagné à l’époque du retour rapide de l’austérité.

S’il y a bien quelques avancées de contenu au programme, leur examen approfondi montre qu’elles sont très relatives : d’abord la hausse de la pension minimum en cas de carrière complète, qui n’atteindra pas les 1500€ net promis et sera hors d’atteinte pour trois quarts des travailleu.r.se.s (dont une grande majorité de femmes), ainsi que du montant des allocations sociales. Ajoutons la dotation d’équilibre à la Sécurité sociale (mise à mal par le gouvernement Michel), une hypothétique levée du secret bancaire, un refinancement de la Justice et un autre, non-négligeable, dans la Santé (notamment la santé mentale) mouvement combatif et crise corona obligent. Tout cela ne suffit pas à combler les reculs des 15 dernières années, mais également le congé de paternité qui passerait à 20 jours … ainsi que quelques mesures d’un plan action climat, largement insuffisant ne fut-ce que pour répondre aux recommandations du GIEC (réduction de 65% des émissions de gaz à effets de serre d’ici à 2030 au niveau européen), avec de maigres budgets pour la rénovation du bâti et la SNCB.. Ajoutons le ballon d’essai d’un début de libéralisation de la SNCB sur le réseau de la province du Limbourg et ne nous étendons pas sur la sinistre blague des voitures de société soi-disant « vertes » pour répondre à la catastrophe climatique…

Ces conquêtes, limitées, reflètent la volonté des partis systémiques, l’extrême centre néolibéral, y compris le PS et Ecolo, de répondre sur le plan strictement symbolique aux mouvements de ces dernières années, dans la santé, pour le climat, dans la nouvelle vague féministe, et dans une certaine mesure le mouvement syndical, sans rien régler sur le fond et surtout pour mieux faire passer la continuité néolibérale symbolisée entre autres par le retour de « Monsieur chasse aux chômeu.r.se.s », Frank Vandenbroucke, le blocage sur le droit à l’avortement ou sur les tests anti-discrimination à l’embauche.

En résumé : un petit coup à gauche avec de l’argent pour la santé et les pensions (demande de campagne portée par plusieurs partis de gauche dont le PTB), beaucoup de coups à droite notamment sur le marché du travail et bien sûr la politique migratoire raciste et le renforcement des forces répressives de l’Etat (police, armée). Grand absent, cautionné par les Verts : le désastre climatique.

Rien n’est réglé, tout reste à faire

Le contexte de crise majeure dans lequel nous sommes va accentuer les difficultés pour cette coalition très fragile : Où va-t-on trouver l’argent ? Qui va payer ? Les zones d’ombre sont nombreuses et il n’y a aucune raison de faire confiance à cette équipe. Les néolibéraux « progressistes » ne nous offrent aucune protection face à l’extrême-droite, pas plus en Belgique qu’ailleurs en Europe et dans le monde : ils lui ouvrent la voie, en semant la misère, en mettant en place les instruments répressifs et en désespérant les électeur/trices de gauche. Le plus grand danger est de se laisser bercer et aveugler par les réformettes et le « style » Vivaldi, qui vise à sauver l’hégémonie néolibérale par plus de « concertation sociale » avec les syndicats et plus de cooptation du secteur associatif. Nous n’avons rien à attendre d’eux, ne nous laissons pas endormir.

La leçon stratégique pour les mouvements sociaux est qu’aucun changement réel, donc aucune solution à la crise institutionnelle de plus en plus profonde, aucune alternative à la menace autoritaire, qui soit en faveur des exploité.e.s et opprimé.e.s, ne sera possible tant que les appareils bureaucratiques syndicaux et associatifs garderont le contrôle du mouvement social et soumettront celui-ci aux stratégies d’occupation du pouvoir de leurs « amis politiques » du PS, des Verts ou de la démocratie chrétienne. Pour gagner, nous avons besoin de marcher sur les deux jambes de la recomposition sociale et politique, la première devant donner le « la » à la seconde en termes de programme. Les appareils syndicaux ont enterré la lutte contre Michel-Jambon lors du puissant mouvement syndical de 2014, et ont depuis laissé toute liberté aux sociaux-libéraux du PS et aux Verts, y compris la liberté de trahir leurs propres promesses. La démarche de la FGTB Charleroi en 2012 avait démontré à l’époque qu’il est possible pour le mouvement syndical de s’impliquer sur le terrain politique, de façon indépendante et sur base de son propre programme. C’est ce fil rouge là qu’il faut reprendre aujourd’hui.

Ce que cette coalition a mis de positif sur la table, c’est le fruit de nos combats de ces dernières années. Il est donc vital de continuer à nous mobiliser pour élargir ces quelques brèches et passer du relooking à des victoires substantielles. Un premier rendez-vous féministe est déjà donné ce dimanche 11 octobre à 15h Gare Centrale de Bruxelles(1)RASSEMBLEMENT// ABORTUS : MY BODY MY CHOICE : https://www.facebook.com/events/728385767717204, pour continuer à mettre la pression pour des avancées en matière de droit à l’avortement. Soyons présent.E.s en nombre !

Le mouvement syndical et les mouvements sociaux (climat, féminisme, antiracisme, sans-papiers notamment) ainsi que l’opposition de gauche parlementaire (PTB), ont tout à gagner à continuer à pousser dans le dos, ensemble, cette coalition pour faire sauter les verrous néolibéraux et élaborer un front social et politique pluraliste. Pour la Gauche anticapitaliste, la construction d’une alternative politique et sociale de rupture est incontournable, si nous voulons sortir de la politique néolibérale répressive et du chantage au « sans nous c’est l’extrême-droite et/ou la fin de l’Etat Belgique ». Nous appelons les militant.e.s et activistes progressistes à s’organiser politiquement de façon indépendante des partis gestionnaires du capitalisme (PS et Ecolo), avec nous s’iels le souhaitent(2)Cliquez ici : Rejoins-nous. Si nous, militant.e.s des luttes, croyons en la justesse et la nécessité de nos revendications, nous devons leur donner toutes les chances de victoire. Cela passe par l’auto-organisation de nos luttes et la création d’outils politiques indépendants des gestionnaires zélés du capital.

Il est urgent de passer à la contre-offensive et de reprendre le chemin des mobilisations larges et combatives, comme Black Lives Matter ou la Santé en lutte nous l’ont montré. Ne nous laissons pas museler par la gestion libérale de l’épidémie, qui a coûté la vie à plus de 10000 d’entre nous.

Rien n’est réglé, tout reste à faire !

  • Pas de paix sociale, pas de trêve avec le gouvernement De Croo
  • Aucune confiance dans le PS et Ecolo, ayons confiance en nos luttes
  • Construisons l’opposition de gauche pluraliste, dans la rue et sur le front politique
  • Défendons la perspective d’une toute autre société, écosocialiste, qui met le soin et la vie au centre

Photo : François Dvorak.

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