Le mot d’ordre de Margaret Thatcher, première ministre britannique de 1979 à 1990, reste dans nos mémoires : TINA, « Il n’y a pas d’alternatives » au capitalisme.

Montrer que « non seulement des alternatives existent, mais, en plus, elles sont innombrables », est le défi que relève, dans son livre « Il faut tuer TINA »(1)Il faut tuer TINA, 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde. ED du Cerisier, 2017 , 530 pp : http://www.ilfauttuertina.net/livre, Olivier Bonfond, économiste et conseiller au CEPAG (centre d’Education populaire André Genot).

Il évite d’emblée le piège tendu à ceux et celles qui, comme lui, dénoncent le système capitaliste et prônent son remplacement par le socialisme du troisième millénaire.

On l’a encore entendu, à l’occasion du 100ème anniversaire de la révolution russe, ce leitmotiv de tous ces thuriféraires du système capitaliste : « Regardez où cela a mené ces régimes communistes, à la dictature, au goulag, à la famine… ».

Aussi, Olivier Bonfond précise d’emblée : « Au regard de sa définition, on peut affirmer que le socialisme n’a jamais réellement été mis en place dans l’histoire de l’Humanité (durant les premières années de la révolution russe, des jalons ont été posés pour aller vers une société socialiste, ndlr). Les expériences dites socialistes n’ont jamais pu ou voulu réaliser l’ensemble des éléments présents dans la définition. Or, chacun de ces éléments est important. Les régimes de Staline en URSS, de Pol Pot au Cambodge ou de Mao en Chine sont des expériences dramatiques qu’il faut condamner » (2)p 80-81.

S’attaquer à la racine du problème

« Etre radical par rapport à l’objectif défini dans ce livre (200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde), c’est inscrire ses réflexions et ses actions, petites et grandes, locales et globales, dans une démarche visant à s’attaquer à la racine du problème (3)p.53 », écrit Olivier Bonfond. « La racine du problème, c’est une logique qui a une dynamique et une cohérence d’ensemble, et qui a un nom : le système capitaliste, basé sur la recherche du profit, l’individualisme, la compétition, l’exploitation des peuples et de la nature » (4)p.54.

Olivier Bonfond consacre la première partie de son livre au fonctionnement détaillé du système capitaliste, à ses ravages : « Sans tomber dans le catastrophisme, la situation est catastrophique ; non seulement les déficits sociaux, écologiques et démocratiques sont gigantesques, mais ils vont grandissants » (5)p. 33 ; « Humaniser le capitalisme n’est pas possible (…) ; la logique capitaliste est et restera ce qu’elle est : faire des profits, le plus rapidement possible, et accumuler du capital, quelles qu’en soient les conséquences sociales ou environnementales » (6)p.75.

L’économiste en tire la conclusion logique, à laquelle nous souscrivons : « Etre anticapitaliste, c’est nécessaire et raisonnable(…) ; c’est refuser que le profit, la croissance économique, la compétition, l’égoïsme et la propriété privées des grands moyens de production constituent les piliers de nos société humaines. C’est être convaincu qu’il est nécessaire de construire une autre société, fondée sur d’autres valeurs et fonctionnant différemment » (7)p.68. « La décision collective et le contrôle collectif sont des éléments fondamentaux du socialisme. En ce sens, on peut dire que le projet socialiste a été trahi au XXème siècle. Il faut donc le réinventer au XXIème siècle » (8)p.81.

Retour sur l’objectif du livre

« Le point de départ et l’objectif de ce livre, précise Olivier Bonfond, c’est de proposer un outil accessible, pratique, concret et rigoureux pour rompre avec le fatalisme ambiant et montrer que, dans tous les domaines (finance, économie, éducation, culture, démocratie, agriculture, etc.) des alternatives crédibles à la mondialisation capitaliste sont à notre portée ».

« Cette liste non exhaustive de propositions et revendications (dont certaines se sont concrétisées) provient très largement des luttes portées par les mouvements sociaux du monde entier » (9)p.14. Ces propositions sont développées, avec une analyse rigoureuse, des informations précises, des faits étayés, des chiffres éloquents, des expériences et des luttes exemplaires, autour de trois grandes questions : « Mettre l’économie au service des peuples » (économie, dette, finance, etc.) ; « Prendre soin des humains et de la planète » (droits sociaux, environnement, alimentation, migrations, féminisme…) ; « Construire une démocratie réelle » (les conditions d’une citoyenneté active et critique, etc.).

Ces propositions , à titre d’exemple dans « Il faut tuer TINA », passent par l’annulation de la dette publique des pays du Sud et du Nord, la levée du secret bancaire et l’instauration d’un impôt exceptionnel et structurel sur les grosses fortunes, l’égalité salariale entre hommes et femmes, des services publics gratuits et de qualité, la réduction collective du temps de travail sans perte de salaire sans accélération des cadences et avec embauche compensatoire, la socialisation des banques , des compagnies d’assurance, la liberté de circulation et la régularisation des sans-papier, la socialisation des ressources énergétiques, la sortie du nucléaire, etc.

« Ce sont des combats dans lesquels il faut s’engager activement  sans perdre de vue l’objectif de remise en cause globale du système capitaliste », écrit Bonfond (10)p.77.

Parmi ces alternatives, « beaucoup sont simples, cohérentes et, avec un peu de volonté politique, pourraient être mises en œuvre dès aujourd’hui » (11)p.13.

Force est pourtant de le constater: la volonté politique fait complètement défaut, surtout dans le contexte politique et social actuel, avec des gouvernements structurellement inféodés au Capital ; avec des partis, non seulement de droite, mais se réclamant de la gauche ou du centre-gauche, qui ont mis en œuvre de violentes politiques d’austérité ces dernières années et, plus profondément, ont incorporé l’agenda néolibéral et autoritaire du capitalisme globalisé ; avec des directions syndicales, qui, tout en portant nombre de propositions avancées dans «  Il faut tuer TINA », s’épanchent en supplique pour la « concertation sociale », de peur de se voir poussées à organiser un large débat, dans le mouvement syndical, sur des formes de luttes à la mesure de l’offensive néo-libérale.

La question stratégique

« Dans ce livre, précise d’emblée Olivier Bonfond, l’accent est mis sur les alternatives qu’il est possible de mettre en œuvre et non sur les stratégies pour y arriver (…). C’est donc principalement sur le terrain et collectivement qu’il s’agit de résoudre les questions d’ordre stratégique. Il est cependant possible et utile de préciser quelques grands axes stratégiques qui devraient traverser toutes réflexion et action visant à concrétiser les alternatives » (12)p.45.

Olivier Bonfond fait bien de rappeler que « toutes les grandes conquêtes sociales de l’humanité (abolition de l’esclavage, fin de la colonisation, sécurité sociale, droit de vote, droit des femmes, etc.) ont toutes été le fruit de luttes et de mobilisations populaires qui ont réussi à modifier le rapport de force en faveur des populations (…). Les actions spontanées individuelles et locales ne peuvent pas faire le poids face à la puissance organisée des Etats et des multinationales. Si l’on veut concrétiser des alternatives, les volontés individuelles doivent converger et s’articuler dans un mouvement collectif conscient, puissant et organisé » (13)p.56.

Les propositions avancées par Olivier Bonfond « pour rompre avec le fatalisme et changer le monde » impliquent, comme il le laisse entendre, une lutte anticapitaliste, ce qui implique également un projet stratégique de rupture avec le capitalisme. On peut regretter que cette dimension soit trop peu évoquée dans son livre. Certes, Il évoque « la possibilité et l’utilité de préciser quelques grands axes stratégiques », en écrivant « Etre radical, c’est inscrire ses réflexions et ses actions, petites et grandes, locales et globales, dans une démarche visant à s’attaquer à la racine du problème : le capitalisme » (14)p.53.

Si n’émerge ni un mouvement social ni une force politique capable de donner une signification collective aux colères accumulées, de populariser un récit alternatif à celui des classes dominantes et d’élaborer un agenda stratégique propre, rien ne viendra produire cette rupture.

« Au nord, il est urgent de renouer avec un syndicalisme de combat » souligne Olivier Bonfond. Au Sud, afin que les luttes sociales se transforment en victoire, un immense travail reste à faire pour créer ou renforcer les syndicats, souvent faibles, peu expérimentés, réprimés ou contrôlés par le pouvoir en face » (15)p.398.

Mais un syndicalisme de combat est-il envisageable sans un fonctionnement démocratique et le contrôle des dirigeants par la base ? La professionnalisation du pouvoir (des permanents syndicaux qui ne subissent pas ou plus l’aliénation dans l’entreprise) constitue une couche sociale qui en arrive à défendre ses intérêts propres, parfois aux dépens des intérêts de la majorité des travailleurs. Une politique de rupture anticapitaliste est-elle possible sans secouer cette couche bureaucratique ? Posons-nous la question : pourquoi les appareils de la FGTB et de la CSC ont-ils arrêté la grève en décembre 2014, ce qui a permis au gouvernement Michel de se sauver et continuer sa politique ?

Par ailleurs, une rupture anticapitaliste ne peut découler uniquement des luttes des syndicats et des autres mouvements sociaux, même si ceux-ci sont radicalement démocratisés : il faut prendre le pouvoir et, pour cela, un prolongement politique est indispensable. Autrement dit: « Tuer TINA » implique de marcher sur deux jambes -sociale et politique – et de coordonner les mouvements.

La FGTB de Charleroi avait tenté de répondre à cette question en 2012, en lançant son appel à un regroupement politique des forces anticapitalistes, à gauche du PS et d’ECOLO, sur base de « Dix objectifs » d’urgence puisés dans ce que le syndicalisme a produit de mieux en termes de revendications radicales. Avec le gouvernement de droite et la percée du PTB, cette perspective stratégique tend à être oubliée au profit de l’idée d’un « gouvernement de gauche » PS-Ecolo-PTB. La FGTB wallonne est à l’origine de cette proposition. Celle-ci se prétend « plus réaliste » que celle lancée il y a sept ans par la FGTB de Charleroi, mais elle relève en réalité de la politique-fiction. Il est en effet fort peu réaliste d’espérer qu’un front avec la social-démocratie et les verts se fixerait pour objectif de « tuer TINA » !

La question stratégique reste donc entièrement ouverte. Les partisans de la rupture anticapitaliste ne peuvent pas l’ignorer, car la politique a horreur du vide. Peut-être Olivier Bonfond approfondira-t-il le problème dans un autre ouvrage ? S’il le fait aussi clairement qu’il formule ses 200 propositions, il rendra un très grand service à la gauche.

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