« Oui mais !
Ça branle dans le manche
Les mauvais jours finiront
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront
Quand tous les pauvres s’y mettront »

Chanson, La Semaine sanglante, écrite, en juin 1871, par Jean-Baptiste Clément, journaliste communard.

150ème anniversaire de la Commune de Paris !

Le 18 mars 1871, six mois après la chute du Second Empire de l’Empereur Louis-Napoléon Bonaparte (Napoléon III) et la création de la Troisième République, l’armée prussienne assiège et affame Paris.

Le gouvernement républicain est dominé par les classes possédantes – grands propriétaires et capitaines d’industrie capitalistes. Il est présidé par Adolphe Thiers qui échoue à imposer sa domination sur une population parisienne révoltée. Adolphe Thiers manque de troupes sûres. Sa tentative de récupérer les fusils, et surtout les canons, aux mains de la Garde Nationale avorte. Il est contraint d’abandonner la capitale à la population en armes. Avec son gouvernement, il se réfugie à Versailles.

À Paris, 170.000 gardes nationaux, équipés de canons et de fusils, assurent une base matérielle au nouveau pouvoir, le Comité Central de la Garde Nationale. Ce pouvoir est incontestablement celui des ouvriers, des artisans, des petits commerçants, qui composent la très grande majorité de la Garde Nationale. Mais, indécis et peu conscient de sa force, ce nouveau pouvoir part aussitôt à la recherche, non de la victoire militaire, mais de la légalité républicaine.

Le 28 mars, la Commune de Paris est proclamée. Le Comité central de la Garde Nationale se retire en sa faveur, mais garde ses pouvoirs militaires. La Commune de Paris ! Ce nom incarne le mouvement révolutionnaire avec son propre gouvernement ouvrier.

On observe alors deux pouvoirs parallèles : d’un côté, le pouvoir bourgeois, celui du gouvernement de la Troisième République, présidé par Adolphe Thiers ; de l’autre, celui de la Commune de Paris, première République sociale, première grande tentative de pouvoir prolétarien  dans l’histoire moderne.

La Commune s’installe à l’Hôtel de Ville. Elle va développer son programme et poser les bases économiques de son pouvoir. Mais elle ne durera que deux mois, du 28 mars au 28 mai. La bourgeoisie et le gouvernement d’Adolphe Thiers, installés à Versailles et qui ont eu le temps de se réarmer, vont remporter sur la Commune, non une victoire électorale, mais une écrasante victoire militaire.

En enfouissant la Commune sous des milliers de cadavres, en fusillant, en torturant, en déportant les communards, la bourgeoisie française ne s’y était pas trompée. Elle a bien perçu que cette première République prolétarienne était un danger mortel pour le vieux monde fondé sur l’asservissement et l’exploitation. Il fallait l’écraser.

Il y a 150 ans seulement que s’ébauchait la première République prolétarienne.

Aujourd’hui, parmi ceux et celles qui fêtent son 150ème anniversaire, il y en a qui souligneront, à juste titre, l’héroïsme des Communards, des Fédérés de la Garde Nationale composée majoritairement d’ouvriers et d’artisans ; mais ils/elles seront tenté.e.s de fixer définitivement la Commune dans l’image de la défaite et de l’écrasement.

D’autres, bourgeois et réformistes, n’hésiteront pas tirer un trait sur la possibilité de révolutions victorieuses, préférant de loin les révolutionnaires morts aux révolutionnaires vivants.

D’autres encore, et nous sommes de ceux-là, fêteront cet anniversaire, en n’oubliant pas les leçons du soulèvement insurrectionnel de Paris, aidés en cela par Karl Marx et Friedrich Engels, qui étaient aux côtés des Communards.

Un siècle et demi après, la Commune incarne toujours l’espoir de grands changements révolutionnaires. Cet espoir fut porté par le peuple de Paris et quelques grandes figures comme Louise Michel, Eugène Varlin ou Jules Vallès qui a dédié son livre, l’Insurgé :

« Aux morts de 1871, à tous ceux qui, victimes de l’injustice sociale,
prirent les armes contre un monde mal fait et formèrent,
sous le drapeau de la Commune, la grande fédération des douleurs ».

Le plus grand événement révolutionnaire du XIXème siècle

Lors des révolutions françaises de 1789, 1793, 1830, 1848, le peuple de Paris avait fait la République pour les autres, pour les bourgeois et les petits-bourgeois. En mars 1871, il la fit pour lui-même. Pour une République sociale, qui défend ses propres intérêts et ceux de l’ensemble des exploité.e.s.

Jetons d’abord un coup de projecteur sur les principaux évènements avant-coureurs de ce soulèvement insurrectionnel de la Commune de Paris.

La révolution française (1789-1794)

Comment ne pas mentionner d’abord le premier mouvement révolutionnaire en France, la Révolution française (1789 – 1794), qui a mis en branle des millions d’hommes et de femmes dans les villes et les campagnes.

Le 14 juillet 1789, face à une monarchie de droit divin, avec Louis XVI, et qui entendait ne rien céder de son Etat absolutiste, le peuple parisien s’empare de la Bastille, l’arsenal royal. Cet évènement provoque le début de l’effondrement du pouvoir royal et marque le début de la Révolution française.

La Révolution française fut principalement une révolution bourgeoise-capitaliste(1)Jean-Philippe Divès, Révolution française (1789-94), Une immense révolution bourgeoise et « avant-courrière », in Europe Solidaire sans Frontières, 1/3/2014.. Les dirigeants radicaux de cette Révolution étaient, dans leur grande majorité, des petits-bourgeois, et pour certains des aristocrates déclassés.

Les Jacobins, club politique de la fraction la plus révolutionnaire de la bourgeoisie (Robespierre, Saint-Just…), jouèrent un rôle dirigeant, en s’appuyant sur les masses populaires, paysans pauvres, artisans et ouvriers des villes, les « sans-culottes » portant le pantalon par opposition à la culotte aristocratique ou bourgeoise.

Le 10 août 1792, Paris allait connaitre, avec le concours des Jacobins et des « sans-culottes » sa première Commune insurrectionnelle. C’est le début de la première République, avec l’arrestation du roi Louis XVI guillotiné en janvier 1793.

Le caractère populaire de la Commune et les idées radicales qu’elle porte font de celle-ci l’institution des « sans-culottes ». Elle exprime, parfois confusément, des revendications qui préfigurent le socialisme révolutionnaire du XIXème siècle.

La déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789), le partage des richesses, le droit au travail, la souveraineté populaire, avec la démocratie directe et les mandats révocables, etc…, ces revendications et le fonctionnement de cette première Commune insurrectionnelle de 1792 furent des sources d’inspiration pour Marx, pour son concept de « dictature du prolétariat ».

On le voit dans ses articles sur la Révolution française : pour lui, loin de se personnifier dans un parti d’avant-garde, la dictature du prolétariat doit être l’expression de la force politique du prolétariat, structurée dans des conseils démocratiques.

En septembre 1793, les Jacobins lancent une politique dite de Terreur qui vise initialement les royalistes et les spéculateurs, mais qui frappera finalement les Communards que Robespierre ne contrôlait plus. Il finit par réprimer et museler la Commune. A son tour, en juillet 1794, il est arrêté par la Convention, l’assemblée gouvernante, et guillotiné.

Ce fut la fin de la Révolution française.

1830 : deuxième révolution, les « Trois Glorieuses », les trois journées insurrectionnelles, les 27, 28, et 29 juillet

Durant la révolution de juillet 1830, les insurgés parisiens dressent des barricades, aidés par des républicains, des gardes nationaux armés, et une partie de la bourgeoisie. C’est un soulèvement contre la politique réactionnaire du roi Charles X.

Beaucoup comptent sur une restauration de la République. Finalement le roi est renversé. Mais une majorité de députés de son gouvernement placent sur le trône un nouveau roi : Louis-Philippe.

1848 : troisième révolution française

En février 1848, quelques jours avant que la France n’entame sa troisième révolution, Karl Marx et Friedrich Engels publient le Manifeste du Parti communiste, avec son appel fédérateur : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. » Le Manifeste commence par cette phrase prophétique : « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. »

Le soulèvement parisien, une révolte ouvrière et bourgeoise, balaye une nouvelle fois la monarchie et son roi, Louis-Philippe. Le 22 février, la deuxième République est proclamée. C’est Louis Bonaparte qui en devient le premier Président. Mais les couches ouvrières veulent une République « sociale. »

Du 22 au26 juin, Paris revit une insurrection révolutionnaire, avec la réapparition des barricades, dressées cette fois contre la bourgeoisie et non plus seulement contre l’aristocratie. La majorité conservatrice du gouvernement ordonne la fermeture des Ateliers nationaux, un acquis social de la révolution de février 1948(2)Les Ateliers Nationaux, coopératives de production, sans patrons, assurant une activité aux chômeurs parisiens. Plus de 100 000 personnes y sont inscrites. Leur fermeture suscite la révolte ouvrière.. Ce fut l’élément déclencheur de cette insurrection. Ces journées révolutionnaires seront écrasées dans le sang : elles feront des milliers de victimes du côté des insurgés :

« Pour la première fois la bourgeoisie montrait jusqu’à quelle folle cruauté dans la vengeance, elle peut se hausser, sitôt que le prolétariat ose l’affronter, comme classe distincte, ayant ses propres intérêts et ses propres revendications. Et pourtant 1848 ne fut encore qu’un jeu d’enfant comparé à la rage de la bourgeoisie de 1871. »

Friedrich Engels, Introduction à la Guerre civile en France, 1871, de Karl Marx. Editions sociales Paris, 1963, p.16.

Le soulèvement social des Canuts de Lyon

Il s’agit d’une des grandes révoltes sociales du début de l’ère de la grande industrie. Les canuts de Lyon, ce sont des artisans tisserands, travailleurs à domicile pour les marchands de la soie qui leur fournissent la matière première. Ils/elles travaillent à la commande, payé.e.s à la pièce, avec des journées de 14 heures et parfois 18 heures.

En 1831, les tisserands se mettent en grève pour exiger un tarif minimum décent et une amélioration de leurs conditions de travail. Ils décident de se réunir en association, balayant la Loi le Chapelier (1791) qui avait dissout les corporations ouvrières et artisanes et limité le droit d’expression des travailleurs. C’est une grève insurrectionnelle, avec l’érection de barricades, la prise du contrôle de la ville de Lyon et le soutien d’une partie de la Garde nationale.

Après trois jours de révolte, le Roi Louis-Philippe envoie 20.000 soldats pour en finir avec ce mouvement de grève. En 1834, les canuts repartent en grève contre les baisses de salaires, une grève réprimée dans le sang. Le ministre de l’Intérieur de Louis-Philippe, un certain Adolphe Thiers, fait donner la troupe. On comptera plus de 600 morts et 10.000 arrestations, au cours de la « semaine sanglante » du 9 au 15 avril 1934. Prélude à la « semaine sanglante » qui mettra un terme à la Commune de Paris, en 1871. Ordonnée par le même Adolphe Thiers.

En 1848, s’opère encore un nouveau et dernier sursaut des canuts de Lyon : ils prennent les armes lors des « journées révolutionnaires » de février 1848, où le prolétariat parisien impose la deuxième République. Ce n’est que bien plus tard que furent signées, entre négociants et canuts, quelques améliorations salariales. Le soulèvement des canuts eut un retentissement national et international.

« C’est nous les canuts, nous sommes tout nus
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira
Nous tisserons le linceul du vieux monde
Car on entend déjà la révolte qui gronde »

Les Canuts, chanson écrite par Aristide Bruant (1894).

Les prémisses de la Commune de Paris de 1871

Une série de facteurs poussèrent au soulèvement de Paris. La guerre engagée par Louis Napoléon contre la Prusse et la débâcle française à Sedan, en septembre 1870, entrainèrent la capitulation de la France, la fin du second Empire de Louis Napoléon et la proclamation de la 3ème République.

L’opposition et les tensions entre le gouvernement, présidé par Adolphe Thiers et composé presque uniquement de bourgeois d’une part, et, d’autre part, le prolétariat armé de la capitale, n’allaient pas tarder à éclater. Afin d’assurer la défense de Paris, tous les Parisiens en état de porter les armes étaient entrés dans la Garde nationale : les ouvriers en constituaient maintenant la grande majorité.

L’occupation d’une partie de la capitale par l’armée prussienne , la faim et le chômage grandissant dans la classe ouvrière, la ruine de la petite bourgeoisie, l’indignation des masses contre les classes supérieures, la composition réactionnaire du gouvernement républicain et de l’Assemblée nationale…, cette série de facteurs, parmi d’autres, poussèrent à la révolution du 18 mars 1871.

Depuis la défense de Paris contre l’envahisseur prussien, la Garde nationale compte cent quatre-vingt mille hommes armés. Le peuple parisien remit le pouvoir entre les mains de celle-ci et de son comité central.

Adolphe Thiers tente en vain de désarmer la Garde nationale, de lui reprendre ses fusils et ses canons. Il se réfugie à Versailles, avec son gouvernement, son administration, ses troupes, sa police et l’Assemblée nationale.

Le 26 mars, le comité central de la Garde nationale organise des élections parisiennes, avançant un argument redoutable : « Le droit de la Cité est aussi imprescriptible que celui de la Nation ; la Cité doit avoir, comme la Nation, une assemblée qui s’appelle indistinctement assemblée municipale, ou communale, ou commune »(3)Jacques Rongerie, Paris insurgé, la Commune de 1871. Ed. Gallimard, 1995, p.32..

Le 28 mars, la Commune est proclamée devant, dit-on, une foule de cent mille personnes. Le comité central de la garde nationale se retire en faveur de la Commune, mais il garde ses pouvoirs militaires.

La Commune ne vivra que 72 jours, du 28 mars au 28 mai 1871.

La première expérience de pouvoir ouvrier

En 1871, la génération des révolutionnaires de juin 1848 reprend le pavé là où elle l’avait laissé vingt-trois ans auparavant, en vivant cette fois la première expérience de pouvoir ouvrier. Le 30 mai 1871, à peine deux jours après le massacre des communards, Marx écrit un long texte « La guerre civile en France, 1871 ».

C’est une Adresse au Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), première Internationale créée à Londres en 1864.

La guerre civile en France, 1871 »(4)Karl Marx, La Guerre civile en France 1871, ibid. est l’exemple inégalé d’une analyse marxiste appliquée au plus grand évènement révolutionnaire du XIXème siècle.

Marx était conscient de l’impréparation de cette insurrection. Comme l’a souligné Lénine :

« Marx, en septembre 1870, six mois avant la Commune, avait directement averti les ouvriers français : l’insurrection sera une folie, déclara-t-il dans la fameuse Adresse de l’Internationale. Il dénonça d’avance les illusions nationalistes sur la possibilité d’un mouvement dans l’esprit de 1792…Mais, quand les masses se soulèvent, Marx voulut marcher avec elles, s’instruire en même temps qu’elles dans la lutte, et non seulement donner des leçons bureaucratiques(…). Marx met au-dessus de tout le fait que la classe ouvrière, héroïquement, avec abnégation et initiative, élabore l’histoire du monde (…). Marx savait voir aussi qu’à certains moments de l’histoire, une lutte désespérée de masses, même pour une cause perdue d’avance, est indispensable pour l’éducation ultérieure de ces masses elles-mêmes, pour les préparer à la lutte future. »

Lénine, Préface à la traduction russe des Lettres à Kugelmann, de Marx, in Œuvres complètes de Lénine.

Démocratie directe et représentative

En l’espace de deux mois, du 18 mars au 28 mai, le peuple parisien exerce un type inédit de démocratie, conciliant contrôle direct à la base et suffrage universel. L’Assemblée de la Commune était composée de délégués municipaux des divers arrondissements de Paris, élus au suffrage « universel » de tous les citoyens. Les délégués étaient responsables et révocables à tout moment, et contrôlés en permanence. Cette révocabilité valait également pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration, y compris les chefs de la Garde nationale. Les délégués à l’Assemblée avaient un mandat impératif(5)«  Autant la révocabilité est la conséquence de la responsabilité de l’élu devant ses électeurs, autant le mandat impératif aboutit à paralyser la délibération démocratique. Si le mandataire n’est que le porte-parole de l’intérêt particulier de ses mandants, sans possibilité de modifier son point de vue en fonction de la discussion, aucune volonté générale ne peut émerger, l’addition des intérêts particuliers se neutralise, et la stérilité du pouvoir constituant finit par faire le lit d’une bureaucratie qui s’élève au-dessus de cette volonté en miettes en prétendant incarner l’intérêt général. » Daniel Bensaïd, La Commune, l’Etat et la Révolution, in La Gauche, journal de la LCR –ancien nom de la Gauche Anticapitaliste-, 1/7/2007.. L’Assemblée était de composition essentiellement populaire. Elle comptait une majorité d’ouvriers, d’artisans, des employés, des journalistes, des instituteurs, des artistes, quelques avocats, médecins et petits patrons.

La Commune associait, dans un même combat, des socialistes « marxistes » – mais le terme n’existait pas encore- membres de la première Internationale, des jacobins, des républicains sociaux, des blanquistes(6)Louis-Auguste Blanqui (1805-1881), partisan d’une révolution opérée par le « coup de force » de petits groupes bien décidés., des proudhoniens de gauche (7)Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), précurseur du Socialisme libertaire. Eugène Varlin, proudhoniste dissident, était un des principaux animateur de la Commune.. Le pouvoir révolutionnaire garantissait le multipartisme. L’assemblée de la République autonome de Paris mit également en place une organisation collégiale des services, pratiquement des « ministères ».

Dix commissions fonctionnaient : militaire, affaires étrangères, sûreté générale, justice, finances, enseignement, subsistances, services publics, Travail et Commission exécutive. Le drapeau de la Commune était celui de la « République universelle ». Des étrangers élus à l’Assemblée de la Commune occupaient des postes importants. Ainsi, Leo Frankel militant ouvrier hongrois établi en France, membre de la première Internationale, ami de Marx, était animateur de la commission du Travail.

Le « suffrage universel » pour élire les délégués à l’Assemblée de la Commune ne concernait que les citoyens, les femmes en étaient exclues. Le droit de vote ne leur fut accordé qu’en 1944 ! Il n’empêche que lors des insurrections précédentes et à fortiori dans la défense de la Commune de Paris, elles s’organisèrent dans « l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessé.e.s ». Elles s’adressèrent à la Commission exécutive de la Commune afin de porter fièrement, haut et fort, leurs principales revendications : l’égalité des sexes et l’abolition de l’antagonisme entre exploiteurs et exploité.e.s. Elles n’étaient pas seulement ambulancières, soignantes ou cantinières ; elles étaient également sur les barricades lors de la « semaine sanglante ».

« Drapeau rouge en tête, les femmes étaient passées ; elles avaient leur barricade place Blanche. Il y avait là, Elisabeth Dmitrief, madame Lemel, Malvina Poulain, Blanche Lefebvre, Excoffons. Andrée Leo était à celles des Batignolles. Plus de dix mille femmes aux jours de mai, éparses ou ensemble, combattirent pour la liberté »

Louise Michel, grande figure de la Commune.

Le premier « gouvernement ouvrier » de la planète

Dans son Adresse du Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs, Marx pointe le véritable secret de la Commune :

« C’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail(…). La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l’existence des classes, donc la domination de classe(…). La Commune entendait abolir cette propriété de classe, qui fait du travail du plus grand nombre la richesse de quelques-uns. Elle visait à l’expropriation des expropriateurs(…). La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu’indiquer la tendance d’un gouvernement du peuple par le peuple. »

La Guerre Civile en France 1871, ibid, p.67.

Soulignons les principales mesures du programme de la Commune, celui qu’elle vote, celui qu’elle tente d’appliquer dans le peu de temps et avec le peu de moyens dont elle dispose. Le décret le plus important de la Commune instituait une organisation de la grande industrie et même de la manufacture, qui devait non seulement reposer sur l’association des travailleurs dans chaque fabrique, mais aussi réunir toutes ces associations coopératives dans une grande fédération.

Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d’ouvriers, sous réserve du payement d’une indemnité, de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé, abandonnés par la bourgeoisie en fuite. Telles furent aussi l’interdiction de certains travaux de nuit, dont celui des boulangers, le blocage du prix du pain, la suppression des monts-de-piété qui exploitaient le crédit des Parisiens, la remise des loyers.

La Commune décréta la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la suppression du budget du culte, ainsi que la transformation de tous les biens ecclésiastiques en propriété nationale. Elle instaura l’instruction primaire et professionnelle. Friedrich Engels, dans son Introduction à La guerre civile en France 1871 de K. Marx, écrivait :

« Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d’une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat. »

F. Engels, ibid. p.25.

La « dictature du prolétariat » n’est rien d’autre que la démocratie ouvrière.

De par son fonctionnement et son ébauche programmatique, la Commune de Paris a jeté les bases d’institutions étatiques d’un type différent de celui de l’Etat bourgeois : des institutions avec une croissance qualitative de la démocratie directe, à l’opposé de la démocratie indirecte et représentative. Et aussi des institutions fondées sur des conseils de travailleurs, souverains, démocratiquement élus et centralisés dont la Commune a jeté les bases. Ainsi, il y eut élection de tous les délégués représentant les travailleurs dans les institutions d’Etat, élection de tous les fonctionnaires, juges, dirigeants de milices ouvrières. La Commune a établi la révocabilité des élus  au gré des électeurs, le transfert croissant des fonctions administratives à des organes directement constitués par les travailleurs, la limitation du revenu de tous les délégués dans les institutions d’Etat… à celui d’un ouvrier qualifié.

Hésitations et erreurs fatales

« La classe ouvrière de Paris, n’ayant pas de parti à elle qui l’aurait guidée et eût réalisé sa dictature, a commis de nombreuses fautes.
Elle n’a pas poursuivi l’ennemi sans le laisser souffler, mais lui a permis de batte en retraite et de s’organiser à Versailles ; elle ne s’est pas emparée de la Banque de France ; elle n’a pas su créer avec la paysannerie le lien qu’elle aspirait à établir ; elle s’est montrée généreuse avec l’ennemi de classe qu’il faut supprimer quand il ne se rend pas »

Karl Marx

L’Histoire de la Commune montre qu’en période révolutionnaire, alors que le « pouvoir ouvrier » se met peu à peu en place, le pouvoir bourgeois ne disparait pas pour autant. A Paris, la machine d’Etat bourgeois n’était plus là, comme dans des villes de province, dans une moindre mesure. Mais le pouvoir centralisé de l’Etat bourgeois était toujours bien là, pas très loin, à Versailles, avec son gouvernement, son Assemblée nationale, son armée permanente, sa police, sa bureaucratie.

La Commune armée aurait pu, dès le début, à Paris-même, neutraliser tout cet appareil, et probablement sans effusion de sang. On aurait pu faire prisonniers tous les ministres, avec Thiers en tête et sans effusion de sang. Personne n’aurait levé la main pour les défendre. Elle aurait pu, avec les communards armés, briser l’appareil d’Etat bourgeois, tout au début de son installation à Versailles. Il y a des hésitations qui coûtent très cher.

Entretemps, le gouvernement du sinistre Thiers a pu réorganiser son armée, y compris en négociant avec Bismarck, son ennemi d’hier, la libération de 100.000 soldats français faits prisonniers. La Commune fit encore d’autres erreurs : elle ne s’est pas emparée de la Banque de France, ce qui aurait privé Thiers de toute capacité financière.

« La Banque renfermait : numéraire 77 millions ; billets de banque 166 millions ; portefeuille 899 millions ; valeurs en garantie d’avance 120 millions ; lingots 11 millions ; bijoux en dépôt 7 millions ; titres déposés 900 millions : soit 2 milliards 180 millions (…) Le Comité Central avait fait une grande faute en laissant filer l’armée versaillaise ; la Commune en commit une cent fois plus lourde. Toutes les insurrections sérieuses ont débuté par saisir le nerf de l’ennemi, la caisse. La Commune est la seule qui ait refusé. Elle abolit le budget des cultes qui était à Versailles et resta en extase devant la caisse de la haute bourgeoise qu’elle avait sous la main. »

Prosper-Olivier Lissagaray, communard, a écrit, quelques années après 1871, l’Histoire de la Commune de 1871. Ed. La Découverte/ Syros, Paris 2000, 525 pp.

La Commune n’a pas su non plus coordonner les « communes » des villes de province, Lyon, Marseille, St- Etienne, Narbonne, Toulouse, Limoges, Dijon, Le Creuset, … où les ouvriers tentèrent également de s’emparer du pouvoir, de proclamer la Commune et d’aller délivrer Paris ; elle n’a pas appelé la paysannerie à la révolte ; elle se perdit en querelles entre ses diverses composantes…

Un carnage comme jamais Paris n’en avait vu !

Il n’était pas question pour les Versaillais de laisser le temps et la possibilité à la Commune de jeter et consolider les bases de la première République prolétarienne. La Commune n’avait pas encore eu le temps de se mettre à l’œuvre que le gouvernement de Thiers, soutenu par toute la bourgeoisie, attaquait Paris.

Ce furent d’abord des escarmouches, l’armée de Versailles n’hésitant pas à fusiller les communards faits prisonniers, alors que la Commune s’était montrée jusque- là très, trop indulgente avec ses adversaires. Puis, après avoir maté les « communes » des villes de province (Lyon, Marseille…), les Versaillais se déchaînèrent sur la population parisienne, lors de la « Semaine Sanglante » du 21 au 28 mai. Près de 30.000 Parisiens furent massacrés par la soldatesque, près de 45.000 furent arrêtés, dont beaucoup devaient être exécutés par la suite. Des milliers furent envoyés au bagne ou déportés. Au total, Paris perdit environ 100.000 combattant.e.s, et parmi eux les meilleurs ouvriers de toutes les professions(8)Lénine, A la mémoire de la Commune, avril 1911, Œuvres, tome 17..

La Commune n’est pas morte !

« Tout ça n’empêche pas, Nicolas
Qu’la Commune n’est pas morte
Ils sentiront dans peu, nom de Dieu
Qu’la Commune n’est pas morte »

Chanson composée par Eugène Pottier, auteur de l’Internationale, en mai 1886. Il a participé aux combats de la « Semaine Sanglante ».

« Le Paris des ouvriers de 1871, le Paris de la Commune sera à jamais célébré comme le haut fait avant-coureur d’une société nouvelle », écrivait Marx, au lendemain de la « semaine sanglante ». 40 ans plus tard, Lénine, le principal dirigeant de la révolution russe, écrivait : « La cause de la Commune est celle de la révolution sociale, celle de l’émancipation politique et économique totale des travailleurs, celle du prolétariat de l’univers. Et, en ce sens, elle est immortelle. »(9)Lénine, ibid..

À peine quelques six ans après l’écrasement de la Commune, alors que nombre de ses combattants languissaient encore au bagne ou en exil, le mouvement ouvrier renaissait déjà en France. La nouvelle génération socialiste, enrichie par l’expérience de ses aînés et nullement découragée par leur défaite, s’empara du drapeau tombé des mains des combattants de la Commune et le porta en avant avec assurance et intrépidité aux cris de « Vive la révolution sociale ». Moins de cinquante ans après la Commune, une nouvelle révolution sociale, cette fois-ci victorieuse, se déroulait en Russie.

Lénine, le principal animateur de cette révolution avait, entre-temps, tiré les leçons du massacre des Communards. Face à la sauvagerie des ennemis de la Commune, Marx et Engels en avaient déjà dégagé les deux principales leçons pour les révolutions à venir.

Au lendemain de la défaite de la Commune, Marx indique une tâche fondamentale au cours de la révolution : « Le prolétariat ne peut pas simplement mettre la main sur une machine d’Etat « toute faite », mais doit briser la machine militaire et bureaucratique de l’Etat et instaurer la « dictature du prolétariat ». Cette « dictature » exige, d’une part, la destruction de l’appareil d’Etat bourgeois, de son appareil de répression et, d’autre part, elle se fonde et s’exerce sur base de la démocratie ouvrière, telle que nous l’avons vue dans le fonctionnement de la Commune de Paris.

La deuxième leçon : la « spontanéité révolutionnaire » du prolétariat ne peut suffire pour remporter la victoire sur la bourgeoisie centralisée, impitoyable, dotée du pouvoir économique. Le fait que les Bolcheviks de 1917 aient réussi ce que les communards ont manqué, met en pleine lumière le rôle primordial d’un parti révolutionnaire. Octobre 1917 ne fut pas le résultat d’un complot, d’un « coup d’Etat » par une poignée d’agitateurs professionnels.

« L’insurrection d’Octobre n’est pas tombée du ciel, telle une foudre rouge qui aurait pris tout le monde de court. Elle fut l’aboutissement d’un long développement politique au cours duquel les partis, et surtout les forces sociales, se sont affrontés. Chacune dans leur camp, classes populaires et classes dominantes ont radicalisé leurs positions sur la base des épreuves qui les opposaient pour la prise du pouvoir. »

Olivier Besancenot, Que faire de 1917 ? Une contre-histoire de la révolution russe. Ed. Autrement, Paris 2017, p.77.

Cette révolution victorieuse fut le résultat d’une combinaison stratégique entre le parti bolchevique et un soulèvement populaire porté principalement par les Soviets, ces assemblées populaires regroupant ouvriers, paysans et soldats. Cette révolution n’aurait pu réussir sans cette convergence entre, d’une part, l’auto-organisation du prolétariat russe, et, d’autre part, le parti bolchevique, avec sa vitalité démocratique interne(10)Alexander Rabinowitch , Les bolcheviks prennent le pouvoir, La révolution 1917, Petrograd. Ed. La Fabrique 2016., son implantation militante dans tous les secteurs de la société, en particulier dans les Soviets, et son maintien du cap, contre vents et marées, sur la prise du pouvoir.

À peine quelques mois après la révolution, éclatait, pour casser cette révolution, une guerre civile, fomentée et organisée par les grandes puissances capitalistes avec le soutien des troupes monarchistes russes. Une guerre qui dura presque cinq années, dévastant le pays, le laissant pratiquement exsangue. Une guerre qui a décimé les militants autogestionnaires d’Octobre ’17 et ouvert la porte à des mesures liberticides, à l’intérieur du fonctionnement du parti bolchevique et sur le terrain politique : la fin des tendances et des fractions (congrès de 1921), la suppression du pluralisme politique, la confusion entretenue, dès la prise du pouvoir, entre l’Etat, le parti et la classe ouvrière…

Des mesures liberticides, prises par le pouvoir bolchevique, se sont multipliées aussi au niveau de la société : la mise au pas des soviets, confirmant la prédominance du parti sur l’autogestion. En réprimant, de manière sanglante, le soviet de Kronstadt, en mars 1921, – un soulèvement qui était d’abord l’expression de la révolte sociale et politique qui grondait au sein du camp soviétique-, le pouvoir bolchevique venait de dévitaliser la vie démocratique des soviets.

À l’issue de la guerre civile, la mécanique de la substitution se met en place : le parti se substitue au peuple, la bureaucratie au parti, l’homme « providentiel » à l’ensemble. Les dirigeants bolcheviques d’Octobre ’17 avaient trop longtemps sous-estimé « l’ennemi secondaire », la bureaucratie, qui les minait de l’intérieur et finit par les dévorer. Peu de temps avant sa mort en janvier 1924, dans son testament, Lénine propose d’écarter Staline de son poste de secrétaire général du parti bolchevique. Celui-ci avait déjà entamé la construction d’un pouvoir personnel absolu.

C’est au début des années 1930, que ce nouveau pouvoir bureaucratique est consolidé, veillant, par tous les moyens, à la préservation de ses propres intérêts, ses privilèges matériels, monopolisant l’appareil d’Etat, coupant court à toute velléité autogestionnaire, et rompant définitivement avec la révolution d’Octobre. Une rupture attestée par des millions et des millions de morts de faim, de déportés, de victimes des procès et des purges. La terreur bureaucratique liquide ce qui survit de l’héritage d’Octobre.

La plupart des cadres et des dirigeants de la période révolutionnaire sont déportés ou exécutés. Il s’agit d’une contre-révolution, dirigée par Staline(11)Daniel Bensaïd, Communisme contre stalinisme, Une réponse au Livre noir du communisme, 1997. Voir : danielbensaïd.org. Le stalinisme, dans des circonstances historiques concrètes, renvoie à une tendance plus générale à la bureaucratisation, à l’œuvre dans toutes les sociétés modernes. On retrouve le phénomène bureaucratique, de manière plus ou moins prononcée dans les partis, les organisations du mouvement ouvrier, les mouvements sociaux… Cette tendance s’est accentuée avec la spécialisation des tâches centrales, la division sociale du travail entre activités manuelles et intellectuelles.

Le fait de pouvoir s’extraire de l’exploitation aliénante du travail, pour des fonctions bien plus gratifiantes dans les organisations ouvrières, peut engendrer des réflexes et des procédures pour préserver et consolider un tel statut, voire même inciter les appareils syndicaux à contrôler et récupérer des mobilisations sociales pour ne pas mettre en péril les mécanismes de concertation sociale. Le phénomène bureaucratique s’est installé également dans la professionnalisation de la politique.

L’exemple de la Commune de Paris de 1871 nous parle à travers le temps, en nous présentant quelques moyens de dé-professionnaliser le pouvoir et la politique. La limitation du cumul et du renouvellement des mandats électifs, ainsi que la limitation du salaire de l’élu(e) au niveau de l’ouvrier(e) qualifié(e) ou de l’employé(e) des services publics contribueraient grandement à restreindre la personnalisation et la professionnalisation du pouvoir. L’élection et la révocabilité des mandataires, qui exercent des tâches politiques, administratives ou judiciaires, devraient être opérationnelles.

La volonté collective de pouvoir s’exprimer à travers un processus électoral libre, quelles que soient ses formes institutionnelles, combinant démocratie participative directe et démocratie représentative, ne peut être indéfiniment différée. L’organisation et l’autogestion des luttes, impliquant la construction d’un syndicalisme de combat et démocratique, doivent relever des salarié(e)s, même si cela ne va pas de soi.

Cette démarche, concrétisée dans les années 1970 par les travailleurs de Glaverbel-Gilly, reste un exemple quasiment unique dans l’histoire sociale de la Belgique(12)André henry, L’Epopée des Verriers du Pays noir. Ed. Luc Pire et Formation Léon Lesoil, 2013.. Cette démocratie intégrale, liée à des expériences autogestionnaires et à la prise en charge par les travailleur/euse/s de leur propre sort, ne peut s’épanouir en faisant l’économie d’un système capitaliste où le travail de tous est accaparé par une infime minorité de rentiers détenteurs des grands moyens de production et d’échange, où les gouvernements et les appareils d’Etat leur font allégeance en comprimant nos libertés démocratiques, en dévoilant leur profil autoritaire et répressif.

De tout cela découle la nécessité et l’urgence de construire des organisations politiques anticapitalistes, capables de se réapproprier toute l’expérience des mouvements d’émancipation du XIXème et du XXème siècle. Des organisations implantées, capables de saisir le sens possible des évènements, d’approfondir et d’orienter, dans une direction révolutionnaire, les dynamiques d’auto-organisation et de politisation.

Des organisations capables de prendre des décisions tactiques hardies et de formuler un projet stratégique faisant le lien entre les aspirations immédiates au changement et les transformations radicales que suppose l’avènement d’une société libérée des rapports d’exploitation et d’oppression(13)Daniel Bensaïd, Ugo Palheta, Julien Salingue, Stratégie et parti. Ed. Les Prairies ordinaires, 2016..

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