Le conseil communal de Charleroi à connu une réunion très animée lundi dernier. 

Les accueillantes temps libre dans l’enseignement étaient là en masse, avec leurs représentants syndicaux. Elles voulaient défendre leur emploi et leurs conditions de travail, menacés par suite du diktat de la majorité wallonne MR-Engagés qui met fin à  toute forme de gratuité dans les communes (l’accueil des enfants avant et après les cours était gratuit à Charleroi, par décision de la majorité communale précédente). 

Des membres du collectif citoyen Stop aux nuisances de l’aéroport de Charleroi interpellaient le Conseil sur son soutien soi-disant « conditionnel » au projet insensé de BSCA d’augmenter de 67% les vols commerciaux d’ici 2045. 

Mais c’est surtout le débat sur la Palestine qui a fait des vagues.

Ce débat comportait deux aspects: 

  • d’une part une interpellation citoyenne par la Plateforme Palestine de Charleroi concernant l’implication de la ville dans un consortium européen qui aurait dû accueillir, au cours d’une rencontre au Pays noir, des représentants israéliens censés vanter les réalisations de la ville de Beer Sheba (dans le Néguev) en matière de développement durable. Précisons que, dès avant le conseil, la protestation de la Plateforme contre ce greenwashing des crimes israéliens avait amené la ville et ses partenaires à renoncer à cette invitation. Dorénavant, le drapeau palestinien flotte d’ailleurs sur la façade de l’hôtel de ville. 
  • d’autre part la mise au vote d’une motion importante, portée par le PS, le PTB et les Engagés, condamnant le massacre génocidaire en cours a Gaza ainsi que les graves violations des droits humains perpétrées en Cisjordanie par les colons israéliens d’extreme-droite, avec le soutien actif de Netanyahou. Cette motion se prononce notamment pour la rupture de toute relation entre la Ville et des entreprises collaborant directement ou indirectement à ces crimes contre l’humanité, et appelle la Région wallonne à prendre  des mesures dans le même sens.

Au terme d’un débat houleux, les élus du MR se sont abstenus sur la motion de la Ville. Leur chef de groupe, Denis Ducarme, a carrément voté contre. Il s’en est expliqué dans une intervention. 

Dans la ligne des attaques contre la gauche et du soutien décomplexé à Netanyahou qui est celle de GL Bouchez, Ducarme à parlé de « drame » à Gaza tout en niant tout génocide ou tout risque de génocide. Surtout, il a accusé le conseil communal d’avoir applaudi à  une « apologie du Hamas » et du « terrorisme ». 

Cette affirmation a été amplement répercutée dans les médias et sur les réseaux sociaux, bien au-delà de Charleroi et même de la Wallonie, par les adversaires du peuple palestinien, l’extreme-droite et les islamophobes de tout poil.

Le bourgmestre a réagi vigoureusement: « Ducarme ment », a-t-il déclaré. Et Thomas Dermine de fustiger à juste titre le chef de groupe du MR. Ducarme en effet est complètement isolé par son vote – dans l’opinion publique et même dans son propre groupe, puisque les autres élus se sont abstenus. La motion PS-PTB-Engagés a donc été adoptée à une très large majorité, ce dont il faut se réjouir.

Où Ducarme a-t-il été chercher son « apologie du terrorisme »? Le  chef MR local a appuyé son accusation sur un passage de l ‘interpellation du conseil par le représentant de la Plateforme Palestine. Voici le passage en question (la vidéo est consultable sur le site de la Ville de Charleroi):

« Le droit international reconnaît aux peuples colonisés le droit de résister, y compris par les armes. Condamner la résistance palestinienne, qu’elle prenne la forme du Hamas ou d’autres factions, reviendrait à nier ce droit fondamental à la lutte et à l’émancipation ». 

Il est évident que le Chef du MR a attaqué cette déclaration pour détourner l’attention de son opposition a la motion de la Ville, et de son refus de toute mesure concrète visant à punir le gouvernement israélien pour ses crimes. 

Ceci dit, le texte de l’interpellation par la Plateforme Palestine pose effectivement question. Il ne fait pas  » l’apologie du terrorisme », non. Mais il ne s’en démarque pas. Au contraire,  il exclut cette démarcation par principe, en affirmant que condamner « la forme » que le Hamas donne a la résistance palestinienne « reviendrait a nier le droit fondamental du peuple palestinien a l’émancipation ».

En d’autres termes: si on est solidaire du peuple palestinien, pas question de condamner les tueries du 7 octobre ou de critiquer le programme religieux réactionnaire du Hamas. Ce serait de l’ingérence dans la lutte du peuple palestinien. Comme si le refus de l’ingérence, le respect de l’autonomie du peuple palestinien, devait signifier le silence quand sont soulevés des débats stratégiques majeurs pour toute la gauche internationale. Comme si, face à l’occupation israélienne, tous les moyens étaient bons. Comme si, en bref, la fin justifiait les moyens.

A la Gauche anticapitaliste, nous ne sommes pas d’accord avec cette vision des choses. Oui, les peuples opprimés ont le droit de lutter pour leur émancipation, y compris par les armes. Non, dénoncer « la forme » que le Hamas a donnée à cette résistance ne revient pas à « nier ce droit fondamental à la lutte et à l’émancipation ». Nous pensons que certains moyens sont contraires à la fin. Le meurtre délibéré de civils, le 7 octobre, est la négation même de l’émancipation humaine en général, et cette négation ne tombait pas du ciel: elle est cohérente avec l’orientation du Hamas.

Ce débat n’est pas neuf. Il a accompagné la solidarité avec les luttes anti-imperialistes tout au long du 20e siècle. Pour ne prendre qu’un exemple (il y en a beaucoup d’autres): la solidarité avec la lutte du peuple cambodgien contre l’impérialisme US impliquait-elle de fermer les yeux sur la forme que le pouvoir khmer rouge donna à cette résistance, et qui consista à massacrer délibérément plus de 700.000 civils cambodgiens? Pour la Gauche anticapitaliste, la réponse est évidemment négative. 

La solidarité avec la résistance légitime des peuples opprimés se doit d’être inconditionnelle, oui ! Mais cette inconditionnalité n’exclut pas le débat et la critique des formes que certains courants politiques peuvent donner à la résistance. Dans certains cas, la dénonciation de ces formes est même nécessaire à la solidarité la plus large, donc la plus efficace. Contrairement au président-fondateur du PTB a l’époque, Ludo Martens, nous pensions que c’était le cas face aux crimes US au Cambodge et à la ligne tout aussi criminelle des Khmers rouges. Contrairement à Michel Collon, régulièrement invité par la Plate-forme Palestine de Charleroi, nous pensons que c’est le cas aujourd’hui aussi face aux crimes sionistes: il s’agit de soutenir le peuple palestinien en dépit du Hamas, de sa ligne et de ses crimes, pas à travers lui. La Plateforme Palestine gagnerait à clarifier ce point.

C’est clairement la question du « campisme » qui est posée ici. Selon nous, dans un monde de plus en plus livré à la pure rivalité brutale entre Etats capitalistes voyous, la gauche ne peut que se perdre en se rangeant dans le camp d’un chef de bande contre les autres, d’une puissance contre les autres. Aucun de ces camps, aucune de ces puissances, ne constitue un « axe de la résistance » face au capitalisme destructeur (que le shérif étasunien et son lieutenant israélien ne sont pas seuls à défendre). Il est plus que temps de refonder un internationalisme par en-bas, de s’unir dans le refus intransigeant de toutes les oppressions, de toutes les occupations, de toutes les annexions.


Photo : manifestation nationale de solidarité avec le peuple palestinien du 15 juin 2025 à Bruxelles. Crédit : Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0