Quel est le but des actions syndicales ? Qu’est-ce qu’on veut vraiment atteindre avec ces actions ? Comment on veut réaliser nos objectifs ? En tant que syndicat, doit on rester neutre politiquement ? Ou doit on plutôt montrer nos couleurs politiques ? Chaque militant syndical se pose ce genre de questions. Et souvent, ça s’arrête là. On trouve rarement, voire jamais, de vraies réponses. La plupart du temps, on n’approfondit même pas ces questions. Mais ça pourrait bien changer.
Critiques à l’encontre de Vooruit
Parce qu’au début juin, l’hebdomadaire flamand Humo a publié une interview de Bert Engelaar, secrétaire général de la FGTB. Dans cette interview, le leader de la FGTB s’exprime clairement sur la politique antisociale du gouvernement fédéral de l’Arizona, qu’il analyse et rejette à juste titre avec une grande précision. Il prend aussi position politiquement et se demande « ce que Vooruit fait encore dans ce gouvernement ». Engelaar poursuit ainsi ses critiques précédentes à l’égard du parti politique Vooruit, qui a choisi de participer à ce qui est en substance un gouvernement fédéral de droite. La question de savoir ce que le parti (selon ses propres dires) social-démocrate Vooruit fait dans ce gouvernement de droite est donc une question que se posent de plus en plus souvent de nombreux militants syndicaux.
Réactions négatives
Pourtant, tout le monde au sein de la FGTB ne semble pas d’accord avec cette question qui est pourtant évidente. Les dirigeants de trois centrales de la FGTB ont réagi négativement dans une interview accordée à l’hebdomadaire flamand Knack. Il s’agit concrètement de Frank Moreels, président de l’Union belge des travailleurs des transports (UBT), Alain De Temmerman, secrétaire général de la FGTB-Horval – la centrale syndicale socialiste de l’horeca, de l’alimentation et des services – et Chris Reniers, présidente du syndicat socialiste des fonctionnaires CGSP. Tous les trois pensent que « sans Vooruit, la situation serait encore pire et même vraiment dangereuse ».
Une question qui couve depuis longtemps
D’autres centrales de la FGTB ont réagi par écrit, mais en interne et discrètement, en exprimant leur soutien au secrétaire général Bert Engelaar : « On a l’impression que les centrales, et donc les membres de la FGTB, n’étaient pas d’accord avec les déclarations de Bert. C’est une très, mais alors vraiment très mauvaise interprétation. » Pas seulement parce que les critiques négatives viennent de centrales avec un nombre relativement plus faible de membres (à part la CGSP). Mais parce que « le fait est que ce gouvernement va désormais si loin dans le démantèlement des droits sociaux, dans la déréglementation du marché du travail, dans la création d’un déséquilibre des efforts budgétaires, dans la culpabilisation de groupes de population, … que nous estimons qu’un parti socialiste n’a plus sa place dans ce qui se passe. Et encore moins d’y participer ». Car « cela n’est pas digne d’un parti socialiste ». Il est également regretté que cette divergence d’opinion ait été rendue publique par les médias. Pour être clair, il n’y a pas de désaccord au sein des larges couches de la FGTB sur la position prise par Bert Engelaar. En fait, ce désaccord sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la participation au gouvernement du parti socio-libéral Vooruit illustre une question qui couve depuis longtemps au sein de la FGTB : quelle stratégie syndicale en général et vis-à-vis de « la politique » en particulier ? Ou plus concrètement : quel est le but du mouvement syndical et quels sont les moyens les plus appropriés pour atteindre ce but ? Depuis la création de la FGTB, cette question de la cohérence (ou de l’absence de cohérence) entre les fins et les moyens a fait l’objet de débats (parfois vifs). Ce n’est pas un hasard.
La FGTB : une fusion de différents courants
La FGTB a été fondée en 1945. Cette fondation était en fait une fusion de quatre fédérations syndicales, elles-mêmes issues de différents courants, chacun avec une vision différente de la réalité et du rôle que les syndicats devaient jouer dans cette réalité. Le plus important de ces courants était connu avant la Seconde Guerre mondiale sous le nom de Confédération Générale du Travail de Belgique (CGTB), issu de la Commission Syndicale du Parti ouvrier belge (POB), un parti social-démocrate. Au sein du POB, la Commission Syndicale était considérée comme le bastion des sociaux-démocrates les plus conservateurs et les moins combatifs. En fait, ils voulaient canaliser les mouvements de lutte souvent explosifs et spontanés ou « sauvages » en utilisant « un modèle bien établi dans la lutte sociale belge : lorsque la lutte sociale échappe au contrôle des appareils [syndicaux] et devient dangereuse, la concertation social est élevé à un niveau supérieur afin de disposer d’un espace où discuter des moyens de contenir l’explosivité sociale, si nécessaire en faisant des concessions matérielles ». Ils voulaient donc surtout garder ce qu’ils avaient gagné et misaient stratégiquement sur les mécanismes de concertation sociale avec les employeurs et le gouvernement, en s’appuyant aussi sur leurs « amis politiques ». Pendant la guerre, le POB a été dissous (par son président Hendrik De Man) et les membres du syndicat ont été appelés à rejoindre l’Union des travailleurs manuels et intellectuels, une organisation corporatiste qui prônait la réconciliation entre employeurs et travailleurs et collaborait activement avec l’occupant nazi. Heureusement, de nombreux syndicalistes sociaux-démocrates ont alors choisi la résistance clandestine, à partir de laquelle la Confédération Général du Travail de Belgique (CGTB) a été refondée après la Libération. À partir de 1941 (au début de l’opération Barbarossa – l’invasion nazi de l’Union soviétique), les communistes sont également entrés dans la clandestinité. Leur travail syndical clandestin a conduit à la formation des « Comités de lutte syndicale », qui ont fusionné après la Libération pour former la Fédération belge des syndicats unitaires (FBSU). Ces syndicats dirigés par des communistes ont choisi la lutte et la mobilisation plutôt que la concertation comme stratégie. La section liégeoise des Comités syndicaux de lutte avait cependant rejoint en 1943 le Mouvement syndical unifié (MSU) d’André Renard, plutôt anarcho-syndicaliste, qui allait continuer à jouer un rôle dynamique et combatif. Enfin, pendant l’occupation, le Syndicat Général Unifié des Services Publics (SCSP – aujourd’hui CGSP) a vu le jour, regroupant des syndicats autonomes de différents secteurs des services publics. Au cours de l’après-guerre, la CGSP a souvent été le moteur de grandes actions syndicales au sein de la FGTB, avec une tendance à la grève générale et politique. Le 1er mai 1945, ces quatre fédérations syndicales, avec leurs visions différentes de la stratégie syndicale, fusionnent pour former la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB). Lors du congrès fondateur, elles approuvent toutes les quatre une déclaration de principes. Cette déclaration de principes se lit comme une tentative très subtile d’équilibrer les quatre visions divergentes. Même si ce texte peut être qualifié de très réussi, il s’est avéré difficile, au fil du temps, de mettre tout le monde dans la même direction.
Divergences d’opinions
Plusieurs divergences d’opinions ont donc surgi à propos de la stratégie à suivre. En fait, on peut dire qu’il y a toujours eu des tensions au sein de la direction de la FGTB entre les partisans du syndicalisme de concertation d’un côté et ceux du syndicalisme de combat de l’autre. Il ne faut pas caricaturer cette opposition. Tant que le capitalisme et ses contradictions de classe existeront, tout mouvement de lutte aboutira à un moment donné à des négociations ou à une concertation avec l’adversaire, qu’il s’agisse des patrons ou d’un gouvernement. La différence, c’est que ces négociations ou cette concertation, en tant qu’aboutissement d’un mouvement de combat, reposent sur un rapport de force réel et pas seulement sur la bonne volonté de l’adversaire. D’un autre côté, créer ce rapport de force demande justement de mobiliser et de sensibiliser les gens. Ça permet aussi de vraiment renforcer leur conscience. Du coup, ils vont vouloir avoir leur mot à dire dans le résultat de toute négociation ou concertation, en étant impliqués. C’est complètement différent dans le cas d’un syndicalisme de concertation « pur ». Dans ce cas, ce sont les dirigeants syndicaux qui donnent le ton, la base n’étant mobilisée que de temps en temps, sans être impliquée de manière continue dans le processus. Une situation qui favorise la passivité de la base.
Une tension inconfortable
Cette tension inconfortable sur la stratégie à suivre est apparue chaque fois que la société était en pleine agitation. Pense à la question royale (1951), à la grève du siècle contre la loi unique de l’époque (1960-1961), à la grève des services publics organisée par la CGSP (en septembre 1983), aux grèves contre le Plan global (1993) et contre le pacte de générations (2005). En 2014, ce champ de tensions est à nouveau apparu quand un plan d’action mobilisateur a été soudainement arrêté par les dirigeants syndicaux « pour donner une chance au dialogue social ». Dans tous ces cas, on a pu voir à peu près le même schéma : à cause d’une énorme indignation contre la politique du gouvernement, des grèves et d’autres actions de protestation plus ou moins spontanées ont éclaté un peu partout, visant la politique du gouvernement, et ces actions régionales et/ou sectorielles avaient tendance à se regrouper en une grève générale qui prenait de plus en plus un caractère politique. En même temps, les dirigeants des différentes centrales syndicales étaient presque toujours très divisés face à cette dynamique. Certains, comme André Renard ou Georges Debunne, ont généralement choisi avec enthousiasme le mouvement de lutte. D’autres, comme Louis Major, n’y voyaient rien de bon. Une fois de plus, l’analyse de Rosa Luxemburg en 1902 se vérifiait : « Aucun de ces mots d’ordre n’a été poussé jusqu’au bout et, finalement, toute la campagne a été soudainement étouffée, sans raison apparente, et les masses ouvrières ont été renvoyées chez elles, stupéfaites et les mains vides. »
La gauche syndicale autrefois…
C’est peut-être moins connu, mais ces déceptions récurrentes ont aussi fait qu’une gauche syndicale a émergé de temps en temps au sein du mouvement syndical, souvent (mais pas toujours) autour d’un leader syndical charismatique. Ce fut certainement le cas dans les années 1950-1960, quand André Renard a su enthousiasmer des dizaines de milliers de militants avec sa campagne « Vers le socialisme par l’action ». On peut dire la même chose de Georges Debunne dans les années 1970-1985, avec ses opinions idéologiques tranchées sur le contrôle ouvrier et les réformes des structures radicales. Dans les années 1980, c’est surtout la CGSP qui a attisé et organisé la combativité. En 1997, Roberto D’Orazio est apparu sur le devant de la scène et a rassemblé pas moins de 70 000 manifestants prêts à participer à une Marche pour le travail, sans soutien notable de la direction syndicale. Cette marche a ensuite trouvé un prolongement (de courte durée) dans le Mouvement pour le renouveau syndical (co-dirigé par le PTB), une initiative qui a été très vivement combattue par les directions syndicales.
La gauche syndicale aujourd’hui ?
Même s’ils ont des alliés dans toutes les centrales syndicales, ce sont surtout la Centrale Générale (CG) de la FGTB, le secteur Administrations locales et régionales (ALR) de la CGSP bruxelloise et, à la CSC, les syndicats de cols blancs Centrale Nationale des Employés (CNE) et ACV Puls qui peuvent être considérés comme les moteurs d’une gauche syndicale. C’est dans les rangs de ces structures syndicales que l’on réfléchit le plus à la stratégie et à la tactique du mouvement syndical, comme le montre notamment le livre « Solidarité en mouvement », publié en 2009 par l’CG. Ce livre plaide notamment pour une action plus européenne et internationale, avec un ensemble de revendications plus large, plus sociale (et donc aussi plus « politique ») que les revendications classiques en matière de salaires et de conditions de travail (par exemple, les questions liées au genre et au changement climatique), en accordant également une attention particulière à la réduction du temps de travail sans perte de salaire et avec des embauches compensatoires. Toute une série de questions auxquelles, soyons honnêtes, le UBT, la FGTB-Horval et la CGSP accordent aujourd’hui moins d’attention.
Défensif
D’ailleurs, ce n’est pas que certains dirigeants syndicaux préfèrent le syndicalisme de concertation juste parce qu’ils le veulent bien ou pas. Non, c’est plutôt qu’ils croient moins, voire pas du tout, à la possibilité de changer la réalité en mobilisant les masses pour les sensibiliser. Leur vision du monde est statique, défensive et pas dynamique. Le fait de voir de plus en plus menacées les conquêtes historiques de la lutte sociale les conforte dans cette opinion. C’est le cas, par exemple, du UBT, où la crainte est réelle que les acquis de la loi Major (qui garantit la sécurité d’existence des dockers au chômage) soient remis en cause, tout comme les acquis des chauffeurs de camion et de bus sont menacés par la croissance rapide des détachements de travailleurs issus de pays à bas salaires. C’est pareil dans le secteur de l’horeca, où le recours massif aux travailleurs flexibles menace de saper toute forme de pouvoir syndical. Dans les services publics, on assiste depuis les années 1980 à une énorme fragmentation, où presque tous les secteurs publics – chemins de fer, poste, enseignement, transports publics régionaux, autorités fédérales, régionales et locales, etc. – ne peut plus compter sur un statut de fonctionnaire unique, ce qui fait que chacun de ces secteurs à tendance de plus en plus d’être encliné à défendre ses propres intérêts et, par conséquent, de moins en moins à s’engager au niveau intersectoriel, et encore moins au niveau interprofessionnel. À tout cela s’ajoute la division communautaire entre les structures syndicales bruxelloises, flamandes et wallonnes (les « interrégionaux »). C’est l’attitude défensive qui découle de tout cela qui explique la position craintive des trois dirigeants syndicaux.
Sondages
Quand ils disent que « sans Vooruit, ce serait encore pire et même vraiment dangereux », c’est parce qu’ils se sont en fait résignés à la domination électorale actuelle de la droite en Belgique. Ils craignent que sans Vooruit au gouvernement, la porte soit grande ouverte à une participation au pouvoir du Vlaams Belang. Les sondages récents – qui montrent soi-disant un très large soutien à la politique de démantèlement social menée – renforcent encore cette crainte. Mais cette crainte les empêche de voir que la conscience n’est pas quelque chose de statique, mais bien de dynamique. Les mêmes sondages montrent par exemple que près des trois quarts de la population belge estiment que les « efforts » demandés ne sont pas répartis équitablement entre tous les groupes de population. En d’autres termes, la grande majorité des Belges estime que les plus riches ne paient pas leur juste part. C’est sur ce point que le mouvement syndical – en collaboration avec d’autres mouvements sociaux – pourrait se concentrer pour déclencher un énorme mouvement de masse auquel personne, pas même les partis de droite actuels, ne pourrait s’opposer.
Impôt progressif sur la fortune
Bert Engelaar écrit donc à juste titre : « Nous, la FGTB, plaidons pour l’introduction d’un impôt progressif sur la fortune à partir d’un million d’euros. Un tel impôt ne vise pas l’épargne de la classe moyenne, mais la fortune concentrée des plus riches, qui reste aujourd’hui largement épargnée. Contrairement à l’impôt sur la plus-value, un impôt sur la fortune générerait des revenus structurels et prévisibles. Ces ressources pourraient être directement utilisées pour maintenir et renforcer notre sécurité sociale, nos services publics et nos mesures climatiques. »
Un silence étrange
C’est quand même un peu bizarre qu’on n’entende presque jamais la présidente de la CGSP, Chris Reniers, parler de ça. C’est d’autant plus étrange que les militants de la CGSP actifs au sein du Service public fédéral (SPF) Finances, ont calculé il y a dix ans qu’il était tout à fait possible de réduire d’un coup la dette publique belge de près de 20 % grâce à un impôt exceptionnel (unique), substantiellee et progressif sur la fortune des 10 % de Belges les plus riches, sans que la classe ouvrière ait à en faire les frais. Cet appel a été publié le 10 décembre 2014 dans le journal De Morgen et à la page 9 de l’édition francophone de Tribune, le magazine de la CGSP, de janvier 2015. La même proposition a été approuvée à l’unanimité lors d’un congrès du secteur flamand de ACOD Overheidsdiensten les 18 et 19 avril 2024. La présidente de la CGSP, Chris Reniers, était au premier rang de ce congrès. Depuis, on n’a malheureusement plus entendu parler de cette proposition. Est-ce à cause d’un désaccord interne communautaire (et si oui, la présidente de la CGSP ne pourrait-elle pas jouer un rôle de médiatrice) ? Ou est-ce parce que la présidente de la CGSP elle-même ne croit pas en la possibilité de « construire les rapports de force qui pourraient assurer un soutien social et politique suffisamment large pour la suppression totale du secret bancaire, l’introduction d’un cadastre du patrimoine et d’un impôt sur le grand capital » ? Ou est-ce parce que cette proposition (et d’autres similaires) ne correspond pas aux préférences politiques de la présidente de la CGSP et de ses collègues au sein des organes de direction ?
Relation entre syndicat et politique
On ne connaît malheureusement pas la réponse à ces questions, mais la dernière question mentionnée nous amène à la deuxième question délicate, qui suscite des divergences d’opinion au sein de la FGTB depuis sa création : la relation entre syndicat et politique. Deux articles de la Déclaration de principes de la FGTB mentionnée plus haut sont pourtant très clairs à ce sujet :
« 3. Dans un esprit d’indépendance absolue vis-à-vis des partis politiques et respectueuse de toutes les opinions, tant politiques que philosophiques, elle [la FGTB] affirme vouloir réaliser ses buts [la création d’une société sans classes et la fin du salariat, en transformant complètement la société] par ses propres moyens et en faisant appel à l’action de tous les salariés et appointés en particulier et de toute la population en général, les intérêts tant moraux que matériels de la très grande majorité de celle-ci étant identiques ou parallèles à ceux des ouvriers, employés et techniciens.
4. Le mouvement syndical acceptera le concours du ou des partis qui joindront leur action à la sienne pour la réalisation de ses objectifs sans se considérer obligé à leur égard et sans qu’ils puissent s’immiscer dans la conduite de l’action syndicale. »
À l’occasion du 80e anniversaire de cette déclaration de principes, le journal syndical De Nieuwe Werker a ajouté le 26 mars 2025 que « cela a permis au syndicat de porter un regard critique sur le parti socialiste et de ne pas se sentir nécessairement lié par sa ligne ».
Débat ?
Malheureusement, tous les responsables de la FGTB ne semblent pas se sentir liés par cette indépendance syndicale de principe. La question qui se pose alors est de savoir ce qu’en pensent leurs propres membres. Il est malheureusement impossible d’y répondre avec certitude, car ce genre de questions fait rarement l’objet d’un débat ouvert. Au fil des ans, plusieurs voix se sont élevées pour demander un vrai débat approfondi sur la stratégie et l’idéologie syndicales. En 2018, une tentative a été faite dans ce sens, lorsque la CGSP a convoqué un « congrès idéologique ». Des textes ont été présentés sur la position du syndicat face à la demande d’un « revenu de base », les relations du syndicat avec d’autres mouvements sociaux ou civil, les limites syndicales par rapport à d’autres centrales syndicales, etc. Les deux questions les plus épineuses – le syndicalisme de combat et/ou de concertation et les relations entre les syndicats et la politique – n’étaient pas à l’ordre du jour. Même sur les points qui étaient à l’ordre du jour, on n’a pu se mettre d’accord que sur quelques points. Pas parce que les divergences d’opinion étaient très grandes en soi. C’était plutôt parce que les trois interrégionales (bruxellois, flamand et wallon) pensaient que les « questions idéologiques » étaient leur affaire et pas celle des instances fédérales supérieures, dont ce congrès. Du coup, le débat s’est essoufflé avant même d’avoir vraiment commencé. Ce qui n’était peut-être pas pour déplaire à certains responsables syndicaux.
Quel est le but de l’action syndicale ?
La position exprimée dans l’interview de Frank Moreels (UBT), Alain De Temmerman (FGTB-Horval) et Chris Reniers (CGSP) rend inévitable le débat sur la stratégie et la politique. En soi, il est positif que d’autres centrales de la FGTB aient réagi en interne en exprimant leur soutien au secrétaire général Bert Engelaar. Mais ça ne suffit pas. Car on ne sait toujours pas quel est le but de l’action syndicale face à la politique inacceptable du gouvernement Arizona. On veut des « ajustements » ? Si oui, lesquels et comment ? Via un vrai plan d’action avec des mobilisations ? Ou en s’appuyant sur « les amis politiques » au sein de ce gouvernement ? Ou voulons-nous carrément la chute du gouvernement ? Si oui, comment voulons-nous y parvenir ? L’idée d’un « marathon » d’actions de protestation est-elle la bonne voie à suivre ? Si ce n’est pas le cas, quel plan d’action faut-il mettre en place ? Ne devrions-nous pas nous diriger vers une véritable grève générale contre le gouvernement de l’Arizona ?
Lettre ouverte
Ces questions et d’autres similaires sont aussi soulevées dans la « lettre ouverte aux membres des syndicats et aux mouvements sociaux » que la Gauche anticapitaliste va bientôt lancer comme « un appel à une discussion ouverte, une main tendue à tous ceux qui sont actifs dans un syndicat ou un mouvement social et qui ne veulent pas rester bloqués dans la simple indignation ». Cette « lettre ouverte » dit entre autres qu’« une vraie alternative se développe et grandit depuis la base » et qu’« une stratégie de journées d’action isolées, étalées sur le long terme, (…) ne mettra pas fin à l’avalanche de mesures de droite. (…) L’objectif stratégique ne peut donc pas être de ralentir le train Arizona, mais bien de le faire dérailler. (…) On a besoin d’un plan d’action crédible et global qui puisse faire monter en puissance les grèves et les manifestations. Oui, comme en 2014, mais cette fois jusqu’au bout, pour que la lutte soit enfin gagnée. La défaite de l’Arizona n’est pas une fin en soi, mais une étape vers un nouvel équilibre des pouvoirs. (…) L’indépendance syndicale ne veut pas dire être apolitique. Ça veut dire qu’on n’est pas au service d’un parti politique, mais ça ne nous empêche pas de développer et de promouvoir notre propre vision de la société. (…) Il ne peut y avoir de victoire sociale durable sans changement de cap politique, pas de succès pour la gauche, tant qu’on cède un pouce de terrain aux tentatives de division entre les opprimés et les exploités. » Cette « lettre ouverte » s’adresse donc « à ceux qui veulent faire plus que juste éviter le pire et qui veulent construire une autre société, où le pire aura disparu. »
L’interview dans le journal flamand Knack a mis fin au temps où on pouvait juste échanger nos idées sur ce genre de questions en interne et en toute discrétion. Faisons en sorte que la gauche syndicale, avec d’autres mouvements sociaux, mette ouvertement ce débat à l’ordre du jour et l’approfondisse !
Peter Veltmans, 18/06/2025
Photo : Manifestation contre le gouvernement Arizona en gestation, le 13 décembre 2024. Crédit : Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0