Star Wars est une série phare qui fait partie du paysage culturel occidental, si ce n’est mondial. C’est un des symboles de la pop culture, le porte-étendard du genre de la science-fiction et quasiment tous les épisodes ont atteint la première place au box office mondial lors de l’année de leur sortie. Le premier épisode a permis à la science-fiction de passer des films de série B à des grandes productions oscarisées, offrant ses lettres de noblesse à ce genre au cinéma.

La saga a cherché notamment à fonder une nouvelle mythologie (en illustrant la théorie narrative du monomythe(1)https://fr.wikipedia.org/wiki/Monomythe) et à parler d’histoire, notamment en ce qui concerne la politique. La trilogie originale avait pour ambition de dépeindre la Résistance face au nazisme. La prélogie, de manière un peu maladroite (vu que nombre de spectat·eur·rice·s n’ont pas réellement saisi ce qui se jouait dans les discussions du Sénat) illustrait la prise de pouvoir d’Hitler tout en critiquant l’instrumentalisation de crises isolées pour prendre des mesures d’exception liberticides.

Il est donc, je pense, de bon ton d’aborder le nouvel épisode avec une grille de lecture politique. Qu’elle soit la volonté de la réalisation ou des scénaristes n’est pas notre propos : nous passons l’épisode à travers nos propres conceptions et nous ne recherchons pas la cohérence, juste des symboles dont nous pouvons nous saisir.

Nous allons aborder les thématiques du film en nous focalisant sur les différents personnages de la série. Cette analyse contiendra évidemment des spoilers, j’invite donc les lect·eur·rice·s à d’abord voir le film s’ielles ne veulent pas voir des points d’intrigue dévoilés.

Tout d’abord, il faut souligner, à l’instar du précédent épisode, la représentation : pour un aussi gros blockbuster, il est exceptionnel de voir autant de rôles et d’act·eur·rice·s qui soient des femmes ou des personnes racisées. Ainsi, sur les 7 rôles principaux, 4 sont tenus par des femmes et 3 par des personnes racisées. Il passe le test de Bechdel(2)https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Bechdel et représente des femmes en position de pouvoir qui ne sont pas en compétition.

Le personnage de Luke Skywalker

On découvre donc que Luke Skywalker, après avoir essayé de refonder l’ordre des Jedi, complètement désabusé par ses échecs qui l’ont conduit à commettre des erreurs aux conséquences terribles. Suite à la peur qu’il ressentait vis-à-vis de Kylo Ren, son élève passé du côté obscur de la Force, il a pendant un instant envisagé de tuer son apprenti. Cette hésitation a suffi à convaincre Kylo Ren de rejeter l’entièreté de l’enseignement des Jedi pour aller fonder son propre temple après avoir tué la plupart des autres apprentis de Luke.
Luke s’exile ensuite sur une planète isolée pour veiller sur les textes fondateurs de l’ordre Jedi, sans pour autant vouloir les mettre en pratique.

La lecture qu’on pourrait en faire est double : tout d’abord, on assiste à une gauche paralysée par ses échecs et qui n’ose plus se réclamer des textes que certain·e·s ont confisqué. La Corée du Nord, l’URSS ou la Chine sont des échecs de la gauche, tout comme la sociale-démocratie européenne qui n’a jamais sérieusement remis en cause le capitalisme (quand elle n’a pas carrément trahi les travailleu·r·se·s).
Face à ce constat, il peut être tentant de se résigner à subir le capitalisme, de peur d’amener encore pire ou d’être trahi par de fausses promesses. Au début, Luke envisage de détruire et de mettre fin aux textes Jedi originels et refuse de prendre Rey pour apprentie. Il ne veut pas perpétuer cette tradition qu’il juge au final néfaste.

Mais quand il se décide à brûler les textes, il est pris de remords mais les textes finissent par brûler (croit-il), sous la volonté de Yoda. S’ensuit alors un dialogue intéressant avec Yoda qui rappelle que les textes sont barbants (ce qui m’a fait penser à la réputation du Capital de Marx pendant la séance) et que les Jedis ont le droit de faire des erreurs, tant qu’ielles apprennent de celles-ci. Là aussi, c’est un écho à l’analyse des expériences qu’a goûté le socialisme tout au long de son histoire qui me rappelle une très belle phrase de Daniel Bensaïd, encadrée à notre institut d’Amsterdam :
« Bien sûr, nous avons eu davantage de soirées défaites que de matins triomphants… Et, à force de patience, nous avons gagné le droit précieux de recommencer. »(3)https://npa2009.org/content/hommages-%C3%A0-daniel-bensa%C3%AFd

Yoda tient également à souligner que c’est à la nouvelle génération de s’approprier les textes, de les réinterpréter et de garder ce qui lui convient. Encore une fois, cette conception fait écho à une autre citation de Bensaïd que j’ai découverte à la faveur de la rédaction de cet article.
« Transmettre ? Quoi ? Et comment ? Les héritiers décident de l’héritage. Ils font le tri, et lui sont plus fidèles dans l’infidélité que dans la bigoterie mémorielle. »(4)https://npa2009.org/content/hommages-%C3%A0-daniel-bensa%C3%AFd

On pourrait également analyser la position de Luke comme celle d’un « intellectuel marxien » qui s’isole des gens qui pourraient profiter de ses analyses et qui se borne à conserver un folklore inutile (comme chanter l’Internationale comme le dernier des curés rouges) ou à élaborer une culture éloignée des milieux populaires (je pense notamment à la pièce de théâtre de Lordon sur la crise économique de 2008 rédigée en alexandrins).(5)Même si l’initiative de Lordon d’essayer d’expliquer la crise économique à travers une oeuvre artistique est louable, elle ne parviendra au final à s’adresser qu’à un public de gauche avec un grand capital culturel, soit des gens qui auraient de toutes façons compris d’une façon ou d’une autre cette crise. Le théâtre est déjà difficile d’accès et demande une certaine aise avec la culture connotée bourgeoise mais rédiger sa pièce en alexandrins sera le clou du cercueil de cette tentative d’éducation populaire.
Ici encore, on pourrait comprendre que Yoda invite à réinventer une culture militante qui soit porteuse de sens aux gens qui n’ont pas les codes de notre courant politique (c’est ce qui m’a poussé à analyser ce film d’ailleurs) et à la répandre.

La fin est également intéressante à analyser : l’importance de Luke est d’avantage d’incarner un symbole que d’accomplir des actions concrètes car ce symbole permet parfois de faire bien plus qu’une action directe.
Dans le film, Luke ne vient pas réellement affronter Kylo Ren mais apparaît sous forme de projection pour créer un symbole invincible.
Une manifestation par exemple peut lancer un processus qui peut mener à des changements drastiques, même si elle n’est qu’un moyen pour des actions plus grandes et qu’elle n’a, à proprement parler, souvent aucun réel impact sur la situation en tant que telle mais elle permet de se compter, de se rencontrer, de se motiver, de se montrer.

Le personnage de Rey

Pour ce qui est de Rey, on la présente sous l’aspect d’une nouvelle génération qui cherche à mettre des mots et analyser ce qu’elle ressent (ce qu’on peut ressentir quand on commence à voir l’injustice sociale sans pourtant réussir à lui donner un sens) mais qui est intimidée par l’écart générationnel entre elle et Luke. Cet écart est symbolisé par le refus de Luke d’accepter d’enseigner et par la nature peu accessible de la planète sur laquelle il s’est retiré (tout comme peut l’être la théorie marxiste, antiraciste, féministe ou écologiste).
C’est d’ailleurs à la fin du film qu’on comprend que les anciens textes jedis n’ont pas été brûlés mais littéralement réappropriés par Rey qui choisit elle-même de les aborder pour en apprendre davantage.
Dans un autre registre, on voit la volonté d’abandonner les prophéties et les lignées prestigieuses qui faisaient la saga. Adieu les Anakin créé par l’opération du Saint-Esprit/des midi-chloriens et les fil·le·s de.
Ici, Rey est une orpheline abandonnée par des parents ferrailleurs et alcooliques, Finn se présente comme un concierge (même s’il y a là une incohérence avec le précédent épisode) et Rose est une mécanicienne du vaisseau sortie de sa condition d’esclave par la République. Les personnages ne sont plus tou·te·s des élu·e·s au destin incroyable mais bien des gens normaux qui ont choisi de s’engager avec leurs capacités pour ce qu’ielles croient justes.

Le lien télépathique avec Kylo Ren m’amène à analyser le personnage et la relations que Kylo et Rey entretiennent.

J’ai grosso modo deux analyses :

  • L’une part du principe que Kylo a essayé d’intégrer une organisation politique mais a été rejeté à cause des préjugés de Luke : on a encore hélas aujourd’hui de nombreux témoignages de comportements indélicats de militant·e·s moins opprimé·e·s que d’autres qui vont perpétuer des oppressions systémiques : le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie ou le validisme ne disparaissent pas magiquement dès qu’on proclame que l’on est de gauche. Nous sommes élevé·e·s dans une société qui nous transmet des stéréotypes et ces représentations sont toujours présentes dans l’esprit des militant·e·s.
    Bien que Luke regrette son geste au moment même où il le fait, Kylo perçoit le fait que Luke perpétue des oppressions et conclut donc que les organisations sont vouées à reproduire ces schémas et préfère partir de son côté afin de lutter contre les Jedis.
    Ici, Kylo pourrait incarner la figure de l’anarchiste autonome qui rejette par principe la notion d’organisation ou un·e opprimé.e qui ne milite qu’avec des personnes concernées sans pour autant croiser d’autres grilles d’analyse avec celle de son oppression.
    Ici, le lien avec Rey représenterait donc les militant·e·s de la nouvelle génération qui sont plus sensibilisé·e·s aux questions de l’intersectionnalité des oppressions et qui essaie de moderniser son organisation en invitant Kylo à réintégrer l’ordre des Jedis.
  • La deuxième analyse de ce lien pourrait aussi rappeler l’importance qu’il y a à chercher à dialoguer avec des proches d’extrême-droite ou complotistes qui seraient « tombé·e·s du côté obscur de la contestation. » Bien que l’extrême-droite (et en général, l’attitude complotiste) soit sans conteste une force conservatrice qui sert de roue de secours (quand elle n’est pas carrément le pneu de série) à la bourgeoisie quand le régime parlementaire est discrédité, elle jouit toujours d’une aura dont elle joue, celle de « l’anti-système » terme qui ne veut fondamentalement rien dire, ou plutôt tout dire selon votre analyse de ce qu’est le système.
    Ça a la couleur de la contestation, son nom sonne comme de la contestation mais il suffit de l’avoir en bouche pour comprendre que ce n’est pas de la contestation.
    Ainsi, le lien télépathique invite les militant·e·s à débattre (lorsque c’est possible, c’est-à-dire avec les personnes avec qui nous entretenons un lien qui permet une communication apaisée). Cette attitude ne veut certainement pas dire que nous ne combattrons pas l’extrême-droite par tous les moyens possibles mais invite à une diversité des tactiques (en témoigne que si Rey dialogue avec Kylo, elle se bat aussi physiquement contre le Premier Ordre), en rappelant que la lutte n’est pas toujours une affaire de confrontation. Les deux méthodes sont complémentaires et devraient être utilisées en coordination.

La mort de Snoke

La mort de Snoke a fait beaucoup parler d’elle en ce qu’elle est assez anti-climatique mais me semble porter encore ici un message politique important.
En effet, les Etats-Unis étant sous la présidence de Trump, il convient de comprendre que peu à peu, les figures d’autorité commencent à perdre de leur superbe : l’illusion de la respectabilité de l’appareil d’état bourgeois se désagrège et le film y voit une opportunité de souligner, encore une fois, que rien n’est sacré et que le Premier Ordre n’est pas plus compétent que l’administration Trump, malgré ses beaux atours. Kylo Ren, Snoke et le général Hux sont ridiculisés tout au long du film parce que c’est, in fine, ce qu’ils sont : ridicules. Cela ne les rend pas pour autant moins dangereux mais les redescend de leur piédestal et fait réaliser que leur pouvoir ne tient pas à grand-chose.

De même, la mort de Snoke (soit l’impeachment de Trump) n’est en rien une garantie de la fin du Premier Ordre. C’est d’ailleurs contre les ruines de l’appareil d’état que le combat est le plus dur : la scène d’action avec le plus d’enjeux est celle contre la garde prétorienne impériale. Snoke n’est qu’un individu et n’importe qui peut le remplacer. On peut d’ailleurs faire le pari que Kylo Ren pourrait, à l’instar de Mike Pence, être bien plus dangereux que son prédécesseur.

Armes et casino

Pour ce qui est de Finn et Rose, le choix de les faire intégrer le monde casino n’est pas anodin. En effet, alors que Finn est émerveillé par la richesse et la beauté du lieu, Rose rappelle que toute cette beauté est fondée sur une réalité bien sordide : la plupart des riches qui alimentent le casino sont des marchand·e·s d’armes qui trafiquent avec le Premier Ordre, ces gens étant décrits comme « les pires de la Galaxie » par Rose.

Alors que Finn, Rose et DJ (le personnage de Benicio del Toro) s’enfuient en volant un vaisseau spatial, Finn remarque que le propriétaire vend en réalité des armes à la fois au Premier Ordre et à la République. Cela illustre à la fois la facette inhéremment amorale du capitalisme qui ne vend que pour le profit sans soutenir l’une ou l’autre idéologie mais aussi l’adage « les capitalistes vendront la corde qui les pendra » en ce que cette amoralité leur permet paradoxalement de créer des produits ou des œuvres qui menacent l’ordre social dont ielles sont bénéficiaires.(6)Ce que cette analyse confirme. Un producteur (ici Disney) peut mettre des sommes d’argent colossales dans un film hollywoodien qui porte pourtant un message que nous pouvons interpréter comme anticapitaliste, d’autant plus que ce passage est très explicite là-dessus.

Il est intéressant de noter que le nom de DJ signifie « don’t join »(7)http://starwars.wikia.com/wiki/DJ, soit ne vous engagez pas, vivez au jour le jour pour votre intérêt à court terme. Cette vision est évidemment critiquée et même le personnage de DJ ne semble pas vraiment croire que cette position soit tenable. De plus, cette position d’apparence « neutre » ne l’est pas du tout puisque cet intérêt sert directement les intérêts du Premier Ordre.

Le personnage de Poe Dameron

Poe Dameron pourrait être une critique du virilisme dans le militantisme. Il cherche à faire des actions d’éclat sans penser au sens politique de son action ni aux risques qu’il prend. On peut ressentir ce virilisme dans les actions plus ou moins illégales qui pousse parfois les militant·e·s à la surenchère, à la prise de risques inconsidérés ou même aux mythos purs et simples. C’est une critique de ces comportements performatifs qui n’ont pas pour but d’atteindre un objectif mais bien d’ajouter des galons à son CV militant.

Pour ce qui est de la République, on remarque souvent un discours sur l’espoir et sur la façon dont, même si elle est seule à se mobiliser, elle sait qu’il y a un soutien moral certain dans la population et qu’elle doit continuer à agir même s’il n’y a pas l’air d’avoir d’issue, illustrée par la magnifique phrase (qui devrait être encadrée dans nos locaux d’organisation) :
« L’espoir est comme le soleil. Si vous n’y croyez que lorsque vous le voyez, vous ne traverserez jamais la nuit. »(8)Traduction de tête de l’auteur. Phrase originale : « Hope is like the sun. If you only believe it when you see it you’ll never make it through the night.”

Cette citation est particulièrement salvatrice dans une période comme la nôtre où la lutte des classes est larvée et qu’il va peut-être faire preuve de patience.

Il y a également tout un discours sur le fait que la République porte en elle l’étincelle (soit « Iskra(9)https://fr.wikipedia.org/wiki/Iskra ») qui peut rallumer le feu dans la population à tout moment, pourvu que la poudre soit sèche, ce qui est une imagerie typiquement révolutionnaire.

On voit d’ailleurs le dernier plan du film illustrer que cet espoir est bien présent et qu’il commence à avoir des effets. Il faudra faire preuve de patience avant que le petit garçon puisse agir mais il a l’espoir, en lui, matérialisé par la bague que lui a donnée Rose. Les actions de la Rébellion ont un effet concret dans les consciences et font leur petit bonhomme de chemin.

La taupe(10)Darth Mole. :D continue de creuser.

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Notes[+]